: Le spectacle
Le cas Jekyll a pour thème obsédant et souterrain (je m’en rends compte après coup)
la métamorphose. Le désir de - se - changer, d’être un autre, d’être l’autre.
Faire de soi un autre. Faire de l’autre la part la plus intime de soi.
Et naviguer à vue de l’un à l’autre terme, sans jamais s’arrêter d’aller et venir dans la
pure différence. Au risque - dans le désir - de trouver ou de créer un monstre. Ce désir
qu’ont les acteurs dits « sympathiques » de jouer les méchants. Désir naïf mais profond.
En travaillant le mythe Jekyll-Hyde, je fus frappé par une remarque de Borgès, qui me
parut d’abord réductrice, et même castratrice : il déplorait vivement que le rôle de Jekyll
et de Hyde fût interprété par le même acteur, arguant que dans le roman de Stevenson,
les deux personnages étaient parfaitement dissemblables, l’un (Jekyll) grand, âgé,
élégant, l’autre (Hyde) petit, jeune, disgracieux (encore que ce dernier point soit contestable
puisque si Hyde inspire l’horreur, ce n’est pas en raison d’une laideur jamais
décrite, mais de sa bizarrerie, et de la répulsion purement morale qu’il inspire. Bref.)
J’ai mis de côté cet argument de Borgès, qui me chiffonnait. Si je choisissais ce rôle, si
je désirais si ardemment que Christine Montalbetti écrive ce texte, c’était bien évidemment
dans l’idée de jouer les deux, et plus exactement la métamorphose elle-même.
Et voila que je découvre Kaori Ito dans Au revoir parapluie de James Thierrée. Je vois
mon « autre ». Je vois mon double, totalement autre, « with an odd light footstep »
comme dit Stevenson. Non que Kaori fût répulsive ! Bien au contraire. Le texte de
Christine évoque un personnage attachant quoique monstrueux, un être somme toute
sympathique qui a tout le charme du mal... Et Kaori n’incarne pas Hyde, pas plus que je
ne suis que Jekyll. À nous deux, acteur et danseur, nous formons une dualité en mouvement,
une métamorphose parlée et dansée. Voilà si longtemps que je rêvais de jouer
avec un (une) danseur (seuse) qui danse, ou de danser avec un danseur (une danseuse)
qui joue. Pour être un autre vraiment autre. Et Kaori avait de son côté le même souhait,
inverse.
Cette seconde version du Cas Jekyll est donc elle-même une métamorphose de la
première, un prolongement logique de son devenir.
Et je suis quitte du côté de Borgès, qui avait naturellement bien raison (même si je vais
continuer à jouer la première version)...
Denis Podalydès
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