La pièce de Mayorga est centrée sur quatre personnages : un grand-père et sa petite fille dans le ghetto de Varsovie (de cette période on verra qu’eux), et un couple de diplomates en poste en Pologne de nos jours. Au cours de l’enquête de ces derniers, on croise une foule d’autres silhouettes au détour d’une scène, comme autant de jalons sur la carte mentale que le texte s’efforce de dessiner : une traductrice, un antiquaire, une vieille femme qui est peut-être la petite rescapée du ghetto… Les figures se brouillent et se superposent : il s’agit bien de théâtre, et non de documentaire. Pour preuve : l’irruption dans le dernier tiers de la pièce d’un cinquième personnage qui devient récurrent et complique encore l’enquête.

Le théâtre appréhende la réalité avec ses propres moyens et ses illusions propres. Voilà pourquoi j’ai tenu à former une distribution très resserrée, dans laquelle les deux comédiens qui jouent le couple de diplomates devront endosser de nombreux autres rôles. Ce faisant, ils donneront corps à la tragédie intime de ce couple confronté à un drame familial, et obligé de tracer la carte de sa propre douleur. Ce sont deux êtres dont l’empathie est surdéveloppée à cause de leur souffrance. En nous mettant face à l’impossibilité qu’ils éprouvent de dire leur incommensurable manque, celui de leur fille suicidée, Mayorga nous met soudain en relation avec la disparition de centaines de milliers de victimes.

C’est ce théâtre qui sait dire l’infini en s’ancrant dans le particulier que nous souhaitons défendre.