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Le Bazar du Homard

mise en scène Jan Lauwers

: La Pièce

Le Bazar du Homard relate l’histoire d’Axel et Theresa. Leur fils Jef a perdu la vie sur la plage, à la suite d’un incident stupide. Le chagrin d’Axel et de Theresa les ronge et lorsqu’aucune thérapie ne s’avère apporter de soulagement, Axel décide un jour de s’enfoncer dans la mer. Il enfile son plus beau complet et va manger une dernière fois dans son restaurant préféré, « le Bazar du Homard ». Mais le garçon qui le sert trébuche et le homard à la sauce armoricaine atterrit sur le costume blanc d’Axel. Dans la fraction de seconde pendant laquelle Axel voit arriver la sauce sur son pantalon blanc, tout le rituel qu’il a soigneusement élaboré s’effondre et sa vie semble lui exploser au visage. Dans ce qui suit, nous pénétrons le cerveau halluciné d’Axel, dans lequel les histoires se suivent à un train d’enfer, à mi-chemin entre le délire et la réalité, la comédie et la tragédie, le grotesque et les considérations philosophiques.


La tragédie personnelle d’un homme brisé par le chagrin est d’emblée campée, en traits incisifs, devant la toile de fond d’un monde en ébullition. Un monde de réfugiés, de criminels, de clandestins aux frontières de la civilisation et de discussions sur l’homme nouveau. Certaines trames narratives s’en dégagent, dans lesquelles les personnages se débattent ou jonglent avec ludisme avec les évolutions rapides dont ils sont témoins : la technologique de la génétique, les courants de migration, le choc des religions, la violence. Dans un tourbillon de dialogues nerveux et de réflexions souvent absurdes, le XXIe siècle est présenté comme une époque-charnière en flammes, en désagrégation et en putréfaction, un biotope dont se nourrissent l’angoisse irrationnelle et l’ennui perpétuel et où les actes désespérés prolifèrent. Mais l’humour, la danse et la musique forment un contrepoids au fardeau des problèmes de société, de la perte d’identité, de l’angoisse mortelle et du chagrin personnel.


Axel est professeur en génétique et a fait fureur grâce à la création de deux clones, l’ours Sir John Ernest Saint James et Salman, le premier clone humain. Salman a beau être son plus grand succès au niveau scientifique, sur le plan humain, il est son plus grand échec. Car avec Salman, il a essayé en vain de remplir le vide insondable dans lequel sa vie est plongée depuis la mort de son fils Jef. Quand il en arrive à la conclusion qu’aucun clone ne peut remplacer le fils tant aimé, il essaie désespérément de détruire l’oeuvre de sa vie, Salman.


L’histoire d’Axel, le fourvoyé, et de Theresa, sa femme aimante mais tout aussi désespérée, est racontée à travers le regard de Catherine, la psychiatre d’Axel. Malgré son implication dans l’histoire du couple, elle essaie de démêler l’hallucination meurtrière dans lequel Axel s’empêtre.


Le Bazar du Homard se joue dans la rue de Flandre. Des magasins, un restaurant « Le Bazar du Homard », des maisons et un jardin : celui d’Axel et Theresa, qui essaient de renouer le fil de leur vie en organisant un barbecue. Mais la vie normale ne paraît avoir aucune chance de reprendre son cours. L’aliénation de la réalité, après ces événements dramatiques, est trop grande. Les flammes du barbecue se transforment en un incendie apocalyptique qui ne cesse de se propager : « La maison d’Axel et de Theresa n’était pas la seule à brûler, des banlieues entières périssaient dans les flammes. (…) Ce que cette violence avait d’inédit, c’est qu’elle était parfaitement arbitraire et jamais ciblée. Elle était dénuée de tout systématisme. »


Le clone Salman, encouragé par Nasty – une jeune fille que la vie a abîmée mais dotée d’une beauté éphémère – devient le meneur de l’insurrection. La perfection insipide d’un monde futur cloné le pénètre d’une tristesse infinie. La vue des homards dans le vivier du « Bazar du Homard » le fait s’identifier à la situation sans issue de ces animaux aux pinces ligotées, n’attendant plus rien. Il se qualifie lui-même d’homme-homard et sous la devise « Je ne suis pas », incite les gens à incendier des voitures et à piller des magasins. Dans le cocon de sa condition humaine, à son corps défendant, Salman cherche en vain qui il est.


Le Bazar du Homard est une réflexion sur l’identité. C’est une histoire sur l’imperfection et les désirs, contre toute logique. Les personnages qui entourent Axel et Theresa vivent eux aussi dans un état d’agitation permanente et tentent de se définir eux-mêmes et leur position. Ils sont tous à la recherche de la liberté, d’une conjoncture vivable entre les lois, la religion, les frontières et leur douleur personnelle. Un concours de circonstances insensées les réunit dans la rue de Flandre, juste devant le « Bazar du Homard », le lieu de l’action, du trouble, de coïncidences grotesques. Jan Lauwers illumine pour nous les zones d’ombre de ces personnages, là où se terrent le chagrin et le doute.


Mais la plage et dans son prolongement, la mer, sont le lieu de rencontres inattendues. Plutôt que le terrain de l’action, elles sont l’endroit du recueillement, un sanctuaire. La mer en tant que rite de passage, de désir de mort mais aussi de source de tout ce qui vit.


Au sujet de l’obsession qu’il porte à l’homme nouveau, Theresa dit à Axel : « La monotonie, voilà le problème. Tu voulais la perfection. Mais la perfection est tellement prévisible. Pas de souffrance, mais pas de joie non plus. Ton homme nouveau, il crève d’ennui. »
C’est par la tragédie d’Axel que Jan Lauwers pose la question de l’humanité et de la déshumanisation. Face au désir incessant d’améliorer l’homme, il répond par un plaidoyer pour la beauté de l’imperfection et de l’inattendu, la beauté du monde intérieur dont le désir demeure envers et contre tout le moteur le plus puissant. La thématique souvent mélancolique est traitée avec exubérance et énergie. La joie de vivre. Lust for life. La vitalité au fil du rasoir. Par pure nécessité. En contrepoids. La vitalité en tant qu’acte politique. Dans la dernière en date des productions de Lauwers, La Chambre d’Isabella, les acteurs concluaient en chantant : « We go on ».
Maintenant, ils insistent, avec plus de conviction que jamais : « We have to go on ».


Jan Lauwers :
« Ce texte a été écrit dans la solitude de chambres d’hôtel, avec la télévision toujours branchée. Le réalisme cynique et la sentimentalité romantique qui teintent presque toutes les conversations tenues à l’époque actuelle, y sont inéluctablement présents. Je m’y suis vautré avec plaisir et j’espère de tout coeur que la fin de l’humanité se fera quelque peu attendre. »


Le Bazar du Homard est un cauchemar dans lequel on peut se perdre. C’est une métaphore du désespoir et du chagrin profondément humains et ravageurs, mais aussi de la beauté de l’homme. Une hallucination qui fuit la réalité, une recherche de la sécurité humaine, une quête de l’objet du désir. Une image mélancolique, qui essaie de perdurer dans toute sa beauté.

Sigrid Bousset / Elke Janssens

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