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L'Adversaire

mise en scène Sylvain Maurice

: Un crime ou une prière

par Sylvain Maurice

En portant à la scène L’adversaire comme un monologue, je souhaite avant tout m’attacher au récit de Carrère. Je veux me mettre dans les pas de l’auteur pour faire entendre son questionnement.


L’adversaire est en effet autant l’exposition d’un fait-divers tragique que le récit des difficultés rencontrées par le narrateur pour relater cette histoire. On peut lire le texte de Carrère comme le compte-rendu d’un écrivain qui s’interroge sur ses motivations secrètes. Pourquoi cette fascination pour un fait-divers si sanglant ? Cela cache-t-il une morbidité refoulée ? Et surtout : quel point de vue adopter pour dire l’indicible ? Faut-il rester neutre et objectif ? Se mettre dans la peau du meurtrier ? Se mettre à la place d’un des protagonistes impliqués dans le drame ? Finalement, c’est en parlant en son nom propre, en disant « je » qu’Emmanuel Carrère parviendra à accoucher du récit.


Ces difficultés à trouver le bon point de vue ne sont pas simplement littéraires. Elles sont avant tout éthiques. La question à laquelle doit répondre Carrère et qui engage sa responsabilité est écrasante : quel visage doit-on donner de Jean-Claude Romand ? En faire une victime du destin, un homme traversé par un combat intérieur qui le submerge ou un mystificateur et un escroc ?


Carrère montre comment un petit mensonge est le point de départ d’une logique infernale. Il montre les contradictions de Romand, le vide fondamental sur lequel est construit sa vie. Si à aucun moment il ne cherche à amoindrir la responsabilité du meurtrier, il s’efforce pourtant d’en donner un portrait humain. In fine, il le décrit comme un personnage peu glorieux, un mélange de détresse et de lâcheté.


Au-delà du cas Romand, Carrère se veut plus universel : quelle est cette force de destruction qui sommeille dans l’être humain, cet « adversaire » qui peut nous assaillir à tout moment ? Le choix du titre est venu « d’une lecture de la Bible. (...) Dans la Bible, il y a ce qu’on appelle le satan, en hébreu. Ce n’est pas comme Belzébuth ou Lucifer, un nom propre, mais un nom commun. La définition terminale du diable, c’est le menteur. Il va de soi que “l’adversaire” n’est pas Jean-Claude Romand. Mais j’ai l’impression que c’est à cet adversaire que lui, sous une force paroxystique et atroce, a été confronté toute sa vie. Et c’est à lui que je me suis senti confronté pendant tout ce travail. Et que le lecteur à son tour est confronté. On peut aussi le considérer comme une instance psychique et non religieuse. C’est ce qui, en nous, ment. »
Cette mise à nu de la conscience de Romand est pour Carrère l’occasion de réaffirmer son agnosticisme (« mon point de vue n’est pas religieux »). À la fin de son livre, il s’interroge sur la rédemption du meurtrier, qui affirme avoir trouvé en Dieu un début de réponse à son destin maudit : « En roulant vers Paris pour me mettre au travail, je ne voyais plus de mystère dans sa longue imposture, seulement un pauvre mélange d’aveuglement, de détresse et de lâcheté. Ce qui se passait dans sa tête au long de ces heures vides étirées sur des aires d’autoroute ou des parkings de cafétéria, je le savais, je l’avais connu à ma façon et ce n’était plus mon affaire. Mais ce qui se passe dans son cœur maintenant, aux heures nocturnes où il veille pour prier ? (...) Qu’il ne joue pas la comédie pour les autres, j’en suis sûr, mais est-ce que le menteur qui est en lui ne la lui joue pas ? Quand le Christ vient dans son cœur, quand la certitude d’être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est-ce que ce n’est pas encore l’adversaire qui le trompe ? J’ai pensé qu’écrire cette histoire ne pouvait être qu’un crime ou une prière. »


C’est à notre tour de montrer la singularité de « l’affaire Romand » et de confronter le spectateur aux questions angoissées qu’elle suscite.

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