Parmi les nombreuses œuvres inspirées (librement ou fidèlement) de l’affaire Romand (citons notamment L’Emploi du temps, film de Laurent Cantet, Habitations, pièce de Philippe Minyana), L’adversaire d’Emmanuel Carrère connaît un destin singulier : Nicole Garcia l’a adapté l’année dernière pour le cinéma, nous en faisons aujourd’hui une version pour le théâtre.

Entre ces deux propositions les points de vue sont différents : le film met en scène Romand lui-même ; notre adaptation met en scène Emmanuel Carrère. Le film inscrit le fait-divers dans un environnement (l’origine sociologique de Romand, le caractère de ses parents, son milieu social) et recherche l’identification (Romand = Daniel Auteuil) ; notre adaptation s’attache aux questions, à l’enquête humaine, à la métaphysique...

Cette multiplicité des approches rend bien compte de la difficulté à saisir intelligiblement la figure de Romand. À l’instar d’autres meurtriers comme les sœurs Papin (qui inspirèrent Jean Genet pour Les bonnes) ou de Roberto Succo (qui servit de matériau à des créateurs aussi différents que Bernard-Marie Koltès ou Cédric Kahn), Romand semble échapper à la rubrique des faits-divers pour devenir, dans l’imaginaire collectif, un « monstre célèbre », une figure mauvaise de notre époque...

Cette « notoriété négative » de Romand ne doit en aucun cas faire écran à la monstruosité de ses crimes. À l’opposé du sensationnalisme, notre travail consiste à la fois à raconter l’affaire Romand et à nous interroger sur la façon de la raconter : trouver le bon point de vue n’est pas simplement une affaire de style, c’est aussi, sur ce sujet, une question morale – ainsi que l’indique Carrère : « un crime ou une prière ».

Sylvain Maurice
mars 2003