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La Vie est un rêve

mise en scène Jacques Vincey

: Note dramaturgique

Le théâtre comme arène : apprivoiser le monstre

La Vie est un rêve est une pièce écrite, très littéralement, sous le signe du monstre. C’est en effet sur l’évocation d’un « hippogriffe violent », hybride fantastique de cheval et de rapace, que s’ouvre la pièce de Calderón. Dès lors, le dramaturge espagnol n’aura de cesse de décliner, tout au long de la pièce, les figures fascinantes de la monstruosité, que ce soit dans les personnages, mi-hommes mi-femmes, mi-anges mi-bêtes, ou dans l’intrigue sinueuse où se mêlent comédie, tragédie, drame politique et allégorie sacrée. Mais cette monstruosité, loin d’apparaître comme une matrice stérile proliférant ad nauseam, se présente au contraire comme le principe antagoniste grâce auquel, en creux, la lumière s’efforce de percer : un ennemi redoutable qui donne tout son prix à la victoire (temporaire ?) de la lumière sur les ténèbres.


Ce qui s’impose à première vue dans cette pièce emblématique du siècle d’Or espagnol, c’est en effet une matière organique confuse, foisonnante, déjà manifeste dans une langue d’une richesse superlative. Ce verbe haut en couleurs annonce déjà des personnages tiraillés entre des passions contradictoires — amour ou honneur, raison ou passion —, formidable partition pour les comédiens. Mais sous la profusion d’ornements point aussi une ligne claire qui conduit les protagonistes du drame, au fil des trois journées qui composent la pièce, d’un chaos cauchemardesque à un ordre qui possède la trouble beauté et la fragilité des rêves.


Car c’est bien le rêve qui sert de fil d’Ariane dans le labyrinthe de la Pologne imaginaire qu’invente Calderón, lui qui contraint les protagonistes (à commencer par Sigismond et Basile) à se confronter à la part la plus obscure d’eux-mêmes.


Le rêve, métaphore récurrente du théâtre de Shakespeare à Strindberg et au-delà, permet le déferlement des instincts les plus violents et les plus bestiaux. « Sommeil de la raison qui engendre des monstres », pour reprendre la formule de Goya, il autorise le surgissement de visions terrifiantes dont tout l’enjeu sera de savoir de quelle manière et à quel prix les personnages, et avec eux les spectateurs, parviendront à se libérer. C’est là le défi que Calderón lance, non seulement à ces monstres qu’il fait s’agiter pour nous sur la scène, mais au-délà, au théâtre tout entier. La pièce elle-même est cette créature aux forces en sommeil qu'il s'agit de dompter.

Vanasay Khamphommala et Jacques Vincey

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