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La Médaille

+ d'infos sur l'adaptation de Zabou Breitman ,
mise en scène Zabou Breitman

: Entretien

L’ironie mordante de Lydie Salvayre


Il y a quelque chose d’effrayant, de désespérant, dans ce décalage qu’on observe au moment de la remise des médailles. Un soir dans une usine de construction de voitures, la direction considère l’implication de ses employés ; on juge la vie professionnelle des uns, on écoute les discours des autres, les allocutions, et pour finir le mérite accordé par cet objet qui semble dire « nous sommes contents de vous. » Parmi les employés, certains sont tellement fragiles, on peut imaginer qu’ils vont tomber au moment où on leur accrochera leur insigne. On va jusqu’à remettre la médaille à la veuve de ce pauvre type qui reçoit une médaille à titre posthume. Mais la société se retrouve et tient par ces signes de reconnaissance. C’est à la fois une manière assez respectable de mettre en valeur le travail des uns et des autres. Pourtant c’est aussi une approche dégradante de l’individu que l’on distingue dans son travail. Je veux absolument préserver l’ironie de Lydie Salvayre, sa drôlerie mordante, sans aucune condescendance. Elle est formidablement bienveillante et caustique. Il existe des entreprises où lors de fêtes, les employés chantent des chansons sur le travail lui-même, en chorégraphiant les gestes du quotidien ; le fax, l’ordinateur, la distribution du courrier, les réunions… Tous les décalages sont là ; une chanson, joyeuse, gaie, mais qu’on se forcerait un peu à chanter. Je suis très sensible à ce regard presque documentaire sur le monde du travail, que l’on retrouve chez Raymond Depardon, dans Les Gens par exemple, doublé ici d’une grande ironie. Il faut que je veille à garder les bonnes distances pour n’être jamais dans la moquerie ni strictement dans le documentaire.


La médaille, obscur objet des désirs


L’objet même a attrait à la victoire, à la distinction, à la récompense. Le mot est assez joli, sa sonorité, « médaille ». Pourtant, il y a là une connotation dérisoire. Le mot porte quelque chose de ridicule, de pathétique. La taille même de la médaille, par rapport à la récompense, est totalement disproportionnée ; l’objet concret et si petit enlève tout le lyrisme et la théâtralité du geste. Le mérite en pâtit. Et le mot contient l’humour et le décalage, une disjonction qui apparaît sans cesse dans le roman de Lydie Salvayre. Pour moi, la médaille reste un objet doré, comme les pièces en chocolat, mais qui n’est jamais en or. Les militaires, les sportifs, et le monde de l’entreprise se réunissent régulièrement autour de ce rituel ; la remise de la distinction honorifique. Mais c’est le geste sublime du coureur olympique dans sa course, son exploit, sa performance qui appartiennent au lyrisme et à la beauté. Le moment de la remise de la médaille, finalement si dérisoire, nuit à la beauté du geste. Cela dit, la société, pour tenir, a besoin de ces rituels comme la famille a besoin de Noël, à la fois pour se réunir et pour éclater. C’est un condensé où risquent d’exploser tous les non-dits, les secrets, les choses non résolues.


Une chenille pour le public


Nous aurons une salle des fêtes, un micro, une situation simple ; c’est une succession d’allocutions. Très peu de dialogues. Un ouvrier de l’usine Bisson ouvre la séance, remercie tout le monde, précise qu’il faut désormais travailler en évitant d’utiliser les mots comme « collaboration ». Chacun a son langage, son discours. J’ai ajouté un personnage, une souffre douleur, une jeune secrétaire qui court partout avec des dossiers sous le bras, affairée, effrayée, plongée à fond dans sa mission. Elle va placer des gens, déplacer d’autres gens, courir encore. Elle est inutile, elle ne sait pas où elle va, elle court dans le vide pour éviter de n’être personne ; elle court après sa fonction. Les choses se déroulent. Ainsi passent les employés les uns après les autres, la direction, une petite dame, le directeur de la sécurité, le type de la com, la veuve… Les sept comédiens sont si forts, si colorés, si authentiques, ils vont porter la pièce avec leur personnalité et leur énergie formidables, avec des bruits de pétards dans le fond, un hymne de l’entreprise, des ouvriers en colère, et une belle grande fête pour finir. Personne ne sait vraiment quand et comment le rituel se termine, on est invité à boire un verre. Les employés de l’usine Besson vont peu à peu se réunir dans une gigantesque chenille, qu’ils le veuillent ou non, et entrainer avec eux toute la salle et le public. L’ensemble formera des petits tableaux qui impliqueront chaque spectateur.


Zabou Breitman et Lydie Salvayre
propos recueillis par Pierre Notte

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