: Le spectacle
En 1911, Matisse a peint une Conversation. On y voit un monsieur en pyjama face à une dame appuyée sur le rebord d’une fenêtre ouverte sur un jardin.
Le texte de La belle Parleuse est un montage du livre Portrait d’une dame. Vanda
Benes a sélectionné un certain nombre de passages qui lui ont permis de constituer
le matériau du spectacle.
Toutes les paroles sont vraies mais elles sont « remontées » pour permettre au
spectateur d’assister à la journée ordinaire d’un couple de vacanciers.
La saveur du livre est conservée car le montage n’explicite pas le mystère de
certaines phrases et maintient les coq-à-l’âne provoqués par le décalage entre la
brièveté de l’énonciation et la durée, beaucoup plus longue, de l’écriture.
Dans la « vraie vie », la Dame parle (presque) tout le temps mais le Monsieur ne
note que quand il peut (ou quand il veut.)
Il y a du vide, du manque dont l’imagination de chacun (acteurs et spectateurs) peut s’emparer.
Comme le livre, sous-titré Fiction d’après les paroles de Marie-Hélène Dhénin, le spectacle est une fiction. Une mise en abyme de la fiction d’origine. Dans le spectacle l’Actrice ne peut parler que si l’Écrivain écrit. Elle joue les paroles d’une autre (la Dame-modèle) prononcées en un autre temps et en un autre lieu et noté par le Monsieur-écrivain, lui-même interprété par un acteur-Écrivain…
Et cela provoque, dans le spectacle, quelques moments de suspension étrange :
quand l’Écrivain cesse de noter. Alors l’Actrice reste bouche-bée et tente de l’inciter à
reprendre son carnet d’un : « Tu n’as plus rien à écrire des fois ? » ou son stylo :
« Est-ce que tu peux prendre cet espèce de petit machin-là ? »
Le reste du temps, elle parle leur vie. Car tout repose sur la parole qui constitue le
livre, le montage puis le spectacle.
Dans un respect aussi scrupuleux qu’amusé de la règle des trois unités du théâtre
classique, la pièce se déroule en un jour (du lever au pique-nique), en un lieu (la
scène où se conte la journée), l’action en est unique : une dame parle, un monsieur
écrit.
Il ne se « passe » rien, tout est dit.
Et pourtant, on voit du pays : « On est en Égypte, tiens », « Si on allait au
sommet de l’île de Batz ! », « J’adore ça, moi, les ports de voyageurs », « C’est
vraiment le cimetière marin, ici » etc.…
Mais, ce pays, les personnages le traversent depuis une chaise longue et un
fauteuil de jardin.
Si l’Écrivain quitte peu son fauteuil, l’Actrice, elle, cabriole sur sa chaise longue,
écoute sa musique, chante un peu, fait sa gymnastique, mange son artichaut… et dit
qu’elle est fatiguée », «lessivée » « crevée », « morte » !
Le rythme du spectacle repose sur la tension entre le silence et le flux de la
parole, entre l’immobilité et la suractivité.
Son comique tient à la drôlerie des phrases prononcées et à la cocasserie des
situations jouées par les interprètes.
Son étrangeté est provoquée par le décalage entre un homme en pyjama bleu et
chaussons, assis sur un fauteuil et une dame en survêtement blanc, chapeau et cape
de pluie rouge, virevoltant sur une chaise longue vert-prairie.
La scénographie et les costumes dessinent l’écart qui existe entre la fiction du livre et celle du théâtre. La musique composée par Paul Gasnier, à la fois douce et déglinguée, met en valeur l’ensemble du projet.
Et les peintures de Matisse traversent le spectacle : il faut deviner où…
Vanda Benes
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