: Note d’intention
par Marc Paquien, metteur en scène
Une pièce écrite pour la Comédie-Française. Un texte envahi par le silence.
La Voix humaine de Jean Cocteau est une pièce que l’on voit finalement peu dans sa version
théâtrale. En effet, ce texte, écrit en 1927, est devenu le livret de l’opéra du même nom composé
par Francis Poulenc, et a été porté à l’écran par Roberto Rossellini. Ces deux oeuvres ont sans
doute un peu masqué l’étrange beauté, et la singulière modernité de la première version… Une
modernité dans la manière même d’entrevoir l’espace littéraire. Car le texte, rempli de blancs, de
trous, est parsemé de pointillés. Ces pointillés renvoient à la voix de « l’autre », celle de l’homme
qu’on n’entend pas, mais qui parle dans ce téléphone, à l’autre bout de la ligne.
La Voix humaine est un texte envahi par le silence. Il s’agit évidemment d’une partition
musicale, opératique. Cette « femme qui sombre en chantant » n’est pas sans nous rappeler la
Winnie de Samuel Beckett qui sera créée trente ans plus tard. Ce procédé d’inversion, qui met le
silence, l’absence, au centre de l’oeuvre, est sidérant.
La Voix humaine a été créée en 1930, à la Comédie-Française, par la grande actrice Berthe Bovy.
J’imagine la force de cette proposition, cette femme seule en scène, dans le contexte théâtral de
l’époque. Aujourd’hui c’est Martine Chevallier qui fait entendre ce chant d’amour. Et je veux
rendre hommage à la grande actrice qu’elle est, elle aussi.
J’ai été très frappé par une photo de Berthe Bovy, allongée sur le lit, suivant littéralement la
didascalie de Cocteau « la scène est une chambre de meurtre ». L’idée d’une passation d’une
artiste à l’autre me plait beaucoup, le fait que la pièce revienne vivre enfin dans sa maison de
création…
Pour ce spectacle au Studio-Théâtre, j’ai souhaité aussi faire entendre un autre portrait de
femme, mais chanté. Il s’agit de La Dame de Monte-Carlo, une composition de Francis Poulenc
sur un texte de Cocteau. C’est un clin d’oeil, une manière de rendre hommage à la collaboration si
féconde du compositeur et de l’écrivain. Cette pièce magnifique, de huit minutes, qui fut chantée
entre autres par Mady Mesplé, Dame Felicity Lott ou Marianne Oswald, raconte le déclin d’une
femme qui perd toute sa fortune au jeu, et va mourir noyée. C’est un diamant noir. Elle est
incarnée, ici, par Véronique Vella, qui chanta il y a peu le rôle de Madame Peachum dans
L’Opéra de quat’sous.
Un personnage sans nom.
La figure de la femme est omniprésente dans l’oeuvre de Cocteau. On connaît ses amitiés avec
Francine Weisweiller, Marie-Laure de Noailles ou encore Edith Piaf. On peut voir une espèce de
gémellité, quelque chose de l’ordre de «l’âme soeur » dans ces personnages souvent blessés,
tourmentés. Il est frappant de voir à quel point Cocteau connaissait l’âme féminine. La femme qui
parle à son amant dans La Voix humaine ne porte pas de nom, comme si l’écrivain avait voulu se
glisser dans ce personnage. Car ce n’est qu’une voix qui s’élève. Une voix à laquelle l’actrice
Martine Chevallier rendra toute sa dimension musicale.
On a l’impression d’entendre une aria, ou le chant ultime d’une grande figure d’opéra. En tout cas
un chant de mort. Cocteau a sans doute beaucoup rêvé autour de cette idée, en composant une
variation sur la passion et le mensonge, le renoncement et le désespoir.
Je pense aussi souvent à Colette, celle de La Naissance du jour, ou bien au personnage de Léa
dans Chéri, et à l’idée d’un amour né pour disparaître, tôt ou tard. Un autre élément de la pièce
m’interpelle : le téléphone, le fil qui relie est ici le seul lien entre la femme et l’homme. Cet
accessoire est capital et raconte aussi quelque chose de très intéressant sur les années 1930. On
s’écrit déjà moins, les mots d’amour passent désormais par ce fil qui s’enroule et étrangle. On est
sans cesse coupé, espionné par d’autres voix, par des oreilles intruses.
Passer d’un monde à l’autre.
Dans La Voix humaine, le monde d’en bas ne peut plus communiquer avec le monde d’en haut, le
monde des morts avec celui des vivants. Les didascalies de l’auteur sont d’ailleurs significatives :
une chambre de mort, un téléphone, et le trou du souffleur qui nous renvoie à la symbolique du
passage des enfers à la terre, du théâtre au réel… Pour réfléchir à l’espace scénique, avec le
scénographe Gérard Didier, je me suis bien sûr confronté à l’univers esthétique de Cocteau.
Orphée, par exemple, est un film fascinant sur l’entre-deux monde, cet espace où l’on ne fait plus
partie des vivants, sans être tout à fait mort… On retrouve dans cette oeuvre, comme dans La Voix humaine, les thèmes de l’incommunicabilité, de l’amour perdu. Le noir et blanc, si saisissant
dans le film, nous a beaucoup inspiré. Tout comme l’image du miroir dans lequel on plonge pour
passer dans l’autre monde. Nous avons imaginé un espace abstrait, une chambre comme
suspendue, un sol en pente noir pareil à un miroir dans lequel la femme se reflète et se noie…
Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française
Marc Paquien
avril 2012
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