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La Visite de la vieille dame

mise en scène Omar Porras

: La mère, la femme sans laquelle nous ne sommes rien, j’y crois

La population attend le miracle en la personne de Clara
C’est en allant de Neuchâtel à Berne voir à l’hôpital sa femme malade, que Friedrich Dürrenmatt a eu l’idée d’écrire La Visite de la vieille dame, sa pièce la plus jouée dans le monde. « Même les trains directs s’arrêtent à Ins et Kerzers, écrit-il, si bien qu’on est contraints de regarder ces deux minables petites gares, impatientés par cette interruption, qui d’ailleurs ne dure qu’une ou deux minutes. Ces minutes m’ont été profitables, elles m’ont conduit à la première scène... » Donc, là commence l’histoire: dans la gare d’une petite bourgade ruinée – usines effondrées, laminoirs en faillite, forges éteintes – où la population tout entière, réduite aux allocations chômage, attend. Attend le miracle en la personne de Clara, la “vieille dame”, enfant du pays, enfuie depuis des décennies. Prostituée à Hambourg, puis veuve de nombreux milliardaires, elle revient en sa ville natale, promettant de la renflouer, et de distribuer des millions aux compagnons de sa jeunesse.


En 1993, une version échevelée, furieusement insolente
Elle sait qu’ils ne l’attendent pas, elle. Seulement son argent. Ce qu’ils ne savent pas, ne veulent pas savoir, c’est qu’elle est responsable de leur désolation. Ce à quoi ils ne s’attendent pas, c’est au prix qu’elle exige : « la justice », dit-elle. C’est-à-dire la mort de l’homme qu’elle a aimé, dont elle a eu un bébé, qui l’a reniée, à cause de qui elle a été chassée...
En 1993, Omar Porras, Colombien installé à Genève, se faisait connaître en Suisse, en France, puis en Europe, avec une version échevelée, furieusement insolente de la pièce. En robe et chapeau noirs, il incarnait l’héroïne. C’était une question presque morale, familiale : ce texte, quand il l’a découvert, l’avait ramené à l’histoire de sa mère, qui dans les mêmes circonstances que la Clara de Dürrenmatt a dû quitter son village natal. Elle aussi, sans connaître personne, est allée dans une grande ville, s’est défendue comme elle pouvait, avec ses armes à elle: courage, générosité. C’est dire qu’elle n’a jamais voulu la mort de personne. Et puis, elle n‘a jamais fait fortune. Mais elle s’est battue pour que ses deux fils ne connaissent pas ce qu’elle avait enduré. Elle a tenu à leur éducation, a travaillé durement, n’a jamais cédé sur rien. Alors l’admiration, l’infinie tendresse d’Omar Porras envers sa mère, il la reporte sur la “vieille dame” flouée qui exige réparation.


Impérieuse nécessité de retrouver
La Visite de la vieille dame Sa mère lui avait donné l’argent pour aller en Europe, et en Europe, il a rencontré le théâtre: Noces de sang de García Lorca ou Les Bacchantes (aux Abbesses), Ay! Quixote (au Théâtre de la Ville)... On connaît à présent sa folie baroque, ses images éclatantes, sa fougue poétique dans les jeux des corps et des musiques.
Dix ans ont passé, et beaucoup de choses sont arrivées dans la vie d’Omar Porras. Heureuses, douloureuses. Alors il a ressenti l’impérieuse nécessité de retrouver La Visite de la vieille dame. En lui restant fidèle, donc sans reproduire le passé. Avec l’expérience acquise des rapports humains, avec tout autant de sauvagerie saugrenue, plus la maîtrise et la précision, il a écouté l’histoire qu’aujourd’hui la pièce lui raconte:
«  Une histoire d’amour. Cet amour que Clara revendique. Le premier, le seul. Elle ne l’a jamais oublié. Elle trimballe dans ses bagages un cercueil, mausolée de cette passion devenue obsession. Quelque chose de cruel, de destructeur, qui ne peut se résoudre que dans la mort. Quand on écoute les paroles des salsas, ou des tangos, c’est ce qu’elles racontent : J’écrase tes yeux, je lâche sur toi un escadron de colombes... Chez nous, on danse sur la mort. J’ai vu des gens de ma famille, des gens qui n’avaient jamais porté de chaussures, ivres de mescal, je les ai vus danser autour de la tombe où ils venaient d’enterrer un parent. C’est ainsi. »


Débordant d’énergie et de drôlerie brutale
Et sur des images d’une beauté férocement radieuse, c’est une sarabande macabre mais débordant d’énergie et de drôlerie brutale, que conduit Omar Porras derrière le masque de Clara. Icône divine dominant une société de pantins avides, habiles en retournements et trahisons : « Tous, nous sommes capables de nous trahir nousmêmes, ce qui ne serait pas trop grave. Le pire: nous sommes capables de trahir ceux que nous aimons. Dürrenmatt parle très bien des hypocrisies et des lâchetés. Aucun de ses personnages n’y échappe, sinon Clara bien entendu: elle assume ce qu’elle est, ce qu’elle veut. Et aussi, d’une certaine manière le proviseur: « Il ne s’agit pas de notre prospérité, de notre confort et de notre luxe, mais uniquement de savoir si nous voulons réaliser la justice », dit-elle. Car si dans la pièce, comme tous les personnages appartenant à l’institution, il s’agit d’un homme, j’en ai fait une femme.
« J’ai grandi dans cette idéologie, je pourrais dire cette religion: le respect de la mère-terre, mère-nature, mèrelumière. La mère, la femme sans laquelle nous ne sommes rien. J’y crois. Les gens de théâtre sont partout en exil, mais moi, là, je trouve mon pays. »

Colette Godard

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