theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Visite »

La Visite

+ d'infos sur le texte de Anne Berest
mise en scène Anne Berest

: Entretien avec Anne Berest et Lolita Chammah

Propos recueillis par Pierre Notte

Anne Berest, dans quel espace ou quels espaces allons-nous nous trouver ici ? La tête d’une maman ? Un lit d’hôpital, la maternité ?


Anne Berest : Nous sommes dans un appartement qui se trouve sur le campus universitaire de Minneapolis, aux États-Unis.


Lolita Chammah, cet appartement est le vôtre... Est-ce que ce lieu ressemble à votre personnage, ou à vous-même ?


Lolita Chammah : Ce lieu m’appartient, en tout cas. Il m’appartiendra. Je ne sais pas encore à qui il ressemblera. Cet appartement est à la fois l’intimité de cette femme, et en même temps, comme elle le dit, elle ne se sent pas tout à fait chez elle dans ce pays et donc dans ce lieu. Elle est comme une étrangère. Une étrangère pour elle-même aussi, dans ce voyage douloureux qu’elle traverse depuis qu’elle a donné la vie. Pour finir, je dirais que ce lieu ne ressemblera ni à un personnage ni à moi-même, mais à cette femme, à cette écriture, et surtout à ses états. La notion de personnage m’est étrangère. C’est une personne, un être humain que je vais incarner. Donc ni un personnage ni moi-même. C’est elle.


Anne Berest, à qui s’adresse cette femme, à qui vous adressez-vous quand vous écrivez La Visite ?


Anne Berest : Cette femme s’adresse à des cousins éloignés de son mari, qui sont venus lui rendre visite pour la naissance de son premier enfant. Je voulais que les spectateurs soient dans une situation qui fasse d’eux des personnages de la pièce. Ils n’interviennent pas, mais ils sont acteurs de ce qui se passe.


Lolita Chammah, ces cousins éloignés de votre mari sont-ils des ennemis, des voyeurs, des spectateurs ?


Lolita Chammah : Je dirais que ces cousins éloignés sont un peu tout cela... C’est un matériau avec lequel je vais jouer,  « jouer  » au vrai sens du terme. Ils vont être les témoins de cette parole. D’une certaine façon, on pourrait dire qu’elle a besoin de tous les aspects de ces cousins pour exprimer l’état de choc dans lequel elle se trouve.


Anne Berest, le sujet était-il pour vous une évidence ? Relevait-il d’un besoin viscéral ?


Anne Berest : Lorsque Lolita m’a demandé d’écrire pour elle un texte qu’elle porterait seule en scène, j’ai tout de suite eu l’image d’une jeune maman entièrement couverte de son propre lait. Pourquoi cette image étrange ? Je ne sais pas... Mais il était évident pour moi que je devais aller vers la fébrilité de Lolita, vers sa flamme étrange et mystérieuse. Ensuite, j’ai compris que j’avais besoin d’écrire sur la maternité et sur les  « deliriums  » que j’avais pu traverser moi-même après mes accouchements...


Lolita Chammah, pourquoi vouloir vous confronter seule à l’épreuve du plateau ?


Lolita Chammah : C’est une bonne question, une vraie question ! Ce désir est assez mystérieux. Le théâtre est pour moi de toute façon une véritable épreuve, et un monologue l’est encore plus. Au fond, je crois que j’avais aujourd’hui, dans ma vie d’actrice, besoin de ce défi. Envie d’être seule. M’envoler seule. C’est pour moi en rapport avec la liberté. Cette liberté d’occuper un espace et un texte sans personne d’autre autour de moi. Le texte d’Anne est magnifique pour cela. Il va me porter et me permettre d’aller loin, très loin. Il est riche, intense, fou. Et même si c’est peut-être un fantasme, il va, je le sens, me donner cette liberté et cette ardeur que je cherche aujourd'hui.


Anne Berest, le sujet de la pièce, c’est la femme, la mère, l’enfant, les idées reçues ?


Anne Berest : Peut-être la question de l’instinct maternel. Existe-t-il vraiment ? Mais je crois que d’une certaine manière, le sujet se déplacera chaque soir en fonction du moment que Lolita partagera avec les spectateurs. C’est la beauté du théâtre : le sens n’est jamais figé. Il se reconstruit sans cesse.


Lolita Chammah, selon vous, existe-t-il vraiment, cet instinct maternel ?


Lolita Chammah : C’est une vaste question ! Je dirais que cela dépend des femmes. Il y a des femmes pour qui la maternité est une évidence, et d’autres pour qui ça ne l’est pas. Ce qui est sûr, c’est que la maternité est un chemin, un chemin complexe. Merveilleux et douloureux.


Anne Berest, comment écrit-on pour une voix, pour le corps d’une actrice, une amie ? Par improvisations, instincts, impulsions ?


Anne Berest : J’ai tout de suite eu l’idée de la pièce. J’ai rédigé un premier jet. Puis ensuite, c’est en travaillant, de lectures en lectures avec Lolita, en écoutant sa voix, en la regardant, que j’ai réécrit le texte. D’ailleurs je le réécris sans cesse, c’est une matière qui doit être vivante, le théâtre.


Lolita Chammah, avez-vous contribué à l’écriture ?


Lolita Chammah : Non, je ne dirais pas ça. C’est le texte d’Anne, et j’en suis la matière, l’inspiration sûrement. Pendant plusieurs mois, le texte a été en mouvement, peut-être le sera-t-il encore...


Anne Berest, c’est votre histoire qu’on entend là ? Y a-t-il une part de recherche, de documentation ?


Anne Berest : Après la naissance de mon premier enfant, j’ai eu pendant quelques heures ce qu’on appelle un  « épisode délirant  ». Je garde au plus profond de moi-même le souvenir d’une immense détresse face à mon nouveau rôle de mère. Mais au-delà de ma propre histoire, je vois de plus en plus autour de moi des femmes sans enfant, qui osent affirmer qu’elles n’ont pas envie d’en avoir. C’est donc un mélange de voix et de préoccupations autour de la maternité...


Lolita Chammah, Anne Berest s’est-elle inspirée de votre histoire ? Y a-t-il des parts de vous dans La Visite ?


Lolita Chammah : Non, elle ne s’est pas inspirée de moi au sens où il ne s’agit pas de mon histoire. En revanche, je me dis aujourd’hui que bien sûr, comme elle l’a écrit pour moi, il raconte quelque chose de moi... Il raconte certainement des parts de moi, enfouies. Je me dis surtout que ce texte est une rencontre avec l’actrice que je suis. Avec ma force, mais aussi ma colère, ma mélancolie, mes empêchements. Et c’est ça qui me plait. Ce texte va me permettre de voyager à l’intérieur de moi. C’est ça que j’attendais.


Anne Berest, vouliez-vous combattre l’idée selon laquelle être mère est la plus belle chose qui puisse arriver ?


Anne Berest : Je ne dirais pas « combattre » parce que c’est un terme qui évoque une idée de violence. Moi, je ne combats pas. Je me pose simplement des questions. Surtout, j’essaye de montrer que le chemin vers la maternité peut être très différent de celui qui est généralement véhiculé. Il y a mille façons d’être mère. On peut même être mère sans avoir d’enfant.


Lolita Chammah, votre regard sur votre propre maternité est-il en train de changer ?


Lolita Chammah : Pas du tout. Ma maternité m’appartient. Je vais me glisser peu à peu dans l’histoire de cette femme qui n’est pas moi, mais qui va peu à peu certainement le devenir... Pour ce spectacle, j’ai du mal à me dire que je vais jouer un rôle. Je vais jouer une mère, beaucoup de mères, et cet aspect presque mythologique m’émeut vraiment. C’est cela qui m’intéresse ici, jouer toutes les mères, et aussi sûrement celle que je suis dans la vie... Pour conclure, je dirais que La Visite est une grande histoire d’amour, celle d’une mère pour sa fille, d’une mère empêchée, choquée, annulée, fatiguée certes, mais d’une mère qui cherche et qui trouvera.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.