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: Note d'intention

Marguerite Duras et la cuisine, c’est une histoire d’amour et de bonheur partagé. L’histoire d’un plaisir simple mais intense qui avait une place privilégiée dans le quotidien de sa vie.
Elle aimait faire la cuisine et l’affirmait volontiers, cela lui venait de sa mère. Cuisiner, pour elle, c’était avant tout, une façon de donner de l’amour ; à ses amis notamment, pour qui Marguerite concoctait des plats et inventait des recettes, en silence, seule dans sa grande bâtisse de Neauphle-le-Château. « A Neauphle, souvent, je faisais la cuisine au début de l'après-midi. Ça se produisait quand les gens n'étaient pas là, qu'ils étaient au travail ou en promenade aux Etangs de Hollande, ou qu'ils dormaient dans les chambres. Alors j'avais à moi tout le rez‐de chaussée de la maison et le parc. C'était à ces moments‐là de ma vie que je voyais clairement que je les aimais et que je voulais leur bien. La sorte de silence qui suivait leur départ je l'ai en mémoire.
Rentrer dans ce silence c'était comme rentrer dans la mer. C'était à la fois un bonheur et un état très précis d'abandon à une pensée en devenir, c'était une façon de penser ou de non penser peut‐être – ce n'est pas loin – et déjà, d'écrire.” [1]



L’idée de ce spectacle est née du désir de présenter ce « monstre » de la littérature dans sa pensée du quotidien, du trivial, de « la vie matérielle ».
J'ai choisi de combiner les recettes de cuisine qu'elle avait couchées dans un carnet, à de larges passages de "La maison", extrait de "La vie matérielle", où la place de la femme dans sa maison rejoint la place de la femme dans la société, et où certaines considérations sur la gent féminine, au lieu de paraître d'un autre âge, sont bien souvent toujours d'actualité.


Sur la scène, on y retrouve la cuisine de Marguerite. Les casseroles, le fourneau, les plats, les assiettes et la liste de produits indispensables à ne jamais oublier. Tous ces objets qui accompagnent ses recettes composées au fil des souvenirs et des rencontres avec celles et ceux qui lui ont légué leurs secrets. (Marguerite donnait souvent le nom de la personne qui avait été à l’origine du plat – Les petits pâtés de la grand-mère de Michèle Muller, Les boulettes à la façon de la Grecque Mélina, Le pot-au-feu Anne-Marie Derumier…)
La cuisine, c’est aussi une pièce, plutôt petite et ancienne où elle aimait préparer une soupe au cas où ils auraient faim. Assise à la table de travail, il faut éplucher les légumes, les poireaux et les pommes de terre, les couper, les cuire … dans un ordre méthodique et rigoureux.


Le rapport de la scène au public doit disparaître pour laisser place à une complicité, une quasi-intimité qui s’opère dans un face à face où une femme prépare une soupe de poireaux et parle aux personnes qui sont là et l'écoutent. Elle les nourrit du fruit de son travail, de mots et d'idées avant de les nourrir de la soupe qu'elle aura préparée...


« La soupe au poireau. On croit savoir la faire, elle paraît si simple, et trop souvent on la néglige. Il faut qu'elle cuise entre quinze et vingt minutes et non pas deux heures – toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes... » [2]


Ce spectacle s'est construit dès le début avec une évidence jamais démentie tout au long du processus de création! L'évidence et la nécessité de faire ce spectacle, de donner cette parole à entendre, et l'évidence et la simplicité dans les rapports avec les personnes qui m'ont entourées dans cette création.
Il y a ici, ce que peut-être tout artiste cherche à atteindre, même si ce n'est jamais acquis et doit se renouveler chaque soir, une parfaite adéquation entre le texte, l'interprète et le public. Je me sens, chaque soir, dans une espèce de chose universelle indescriptible, dans une communication-communion avec d'autres êtres humains où il est question d'enfance, de la mère, d'amour, de mort, de nourriture, de cuisine…

Notes

[1] extrait de La Vie matérielle, Editions P.O.L 1987

[2] extrait de La cuisine de Marguerite – Benoît Jacob Editions

Corinne Mariotto

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