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La Vie de Galilée

+ d'infos sur le texte de Bertolt Brecht traduit par Eloi Recoing
mise en scène Éric Ruf

: Questions à Éric Ruf, mise en scène

Brecht fait dire à Galilée « notre ignorance est infinie: entamons-la d’un millimètre cube ! » Comment cet appel au doute résonne-t-il pour vous aujourd’hui?


Cette question emporte avec elle un apparent et fertile paradoxe : le doute serait le ferment de la connaissance ou la connaissance ne progresserait qu’à partir d’un doute affirmé. La pièce de Brecht pose assez clairement cette équation entre refus de l’obscurantisme religieux et doute fondamental posé sur la finitude de la science. Cette « équité » de traitement, ce doute partagé entre deux pôles tellement éloignés qu’ils finiraient par se ressembler, interrogent notre présent, bien sûr, très clairement. L’ignorance au temps de Galilée était entretenue par l’interdiction des moyens d’étude, notre époque l’alimente en les surmultipliant à l’infini. Galilée refuse la langue savante qui exclut les non initiés du débat scientifique et invente opiniâtrement les instruments capables de démont rer les mensonges hégémoniques de l’homme sur l’univers véhiculés par l’Église.
Aujourd’hui, a contrario, les outils de compréhension sont démocratisés, la moindre invention inonde le marché et son influence se chiffre en nombre d’utilisateurs. Pourtant nous n’avons qu’une compréhension partielle de la manière dont ils fonctionnent.
À chaque instant et sans imaginer pouvoir revenir en arrière, nous utilisons des objets et des techniques dont nous sommes incapables d’expliquer les mécanismes à nos enfants et dont la durée de vie est trop courte pour en espérer une maîtrise et une connaissance complètes. L’ignorance, si elle n’est plus entretenue par les mêmes moyens, est tout aussi paradoxalement répandue.
Du latin, on est passé à nombre de novlangues scientifiques, administratives, comptables ou commerciales qui opacifient la compréhension critique de notre monde. Le darknet, par exemple, est comme un nouveau cosmos dont les proportions nous échappent et dont les utilisateurs n’ont pas intérêt à révéler les règles ou le fonctionnement systémique. Le doute, actif, fondamental, philosophique, nécessaire, unique, dans le flux ininterrompu des informations, s’est mué en réaction grégaire, cynique et rétive : les fake news.
Parce qu’il lui faut le temps de s’établir et de se dire, la pensée critique et fondée n’a pas plus droit de cité dans notre tachycardie contemporaine que les thèses de Galilée en son temps. Les instruments de la question devant lesquels le savant a autrefois reculé n’ont plus la chaleur du métal rougi mais ont gagné en invisibilité, en subtilité et peutêtre alors en efficacité. S’il ne s’agit pas pour moi de démontrer et d’organiser des parallèles entre notre temps et celui de Galilée, il m’importe de poser l’équation de Brecht entre obscurantisme et lumière douteuse. Souvent, ce ne sont pas les textes qui sont politiques mais bien l’oreille du spectateur au temps où s’inscrit la représentation.


Dans quelle mesure la trajectoire de Galilée rejoint-elle celle de Peer Gynt dont vous avez monté la pièce éponyme en 2012 au Grand Palais ?


J’y vois une familiarité mais peut-être est-ce un tropisme personnel. On trouve dans les deux oeuvres un portrait, magnifique et paradoxal, d’homme.
D’homme d’une crasse et commune humanité. Entre le garçon menteur et fripon, les pieds boueux, la tête dans les étoiles et les destins d’empereur, et l ’homme de science obstiné et orgueilleux, gourmand des tous les plaisirs terrestres au point de risquer la vie des siens pour le juteux d’une viande, il y a bien des correspondances.
Ibsen et Brecht nous proposent tous deux de suivre le destin d’un homme en le décrivant à plusieurs moments de sa vie. Rares sont les pièces où il est donné à ce point d’observer ce que la vie, au fil des ans, fait de nos convictions et de nos résistances.
Les deux fresques sont des pièces de troupe, elles sont joyeuses à concevoir et à répéter. Et Hervé Pierre, incarnant Peer Gynt puis Galilée, est cet acteurmonde faisant le lien entre les deux.


Antoine Vitez monte La Vie de Galilée à la Comédie-Française en 1990, environ trente ans plus tard, vous en proposez une nouvelle version. Est-ce un projet d’administrateur général ?


Je n’ai pas eu la chance de croiser Antoine Vitez, je suis entré à la Comédie- Française en 1993, peu de temps après sa mort. Je me souviens bien du jour de sa disparition, j’étais alors au cours Florent et Frédéric Montfort, le directeur adjoint, était en larmes à l’entrée de l’école. J’ai appris ce jour-là, stupéfait, l’importance qu’un homme de théâtre peut avoir dans la vie de quelques-uns.
Ce passage de relais est peut-être pour moi une manière de m’approcher de cet homme dont j’ai dévoré les écrits, notes et poèmes édités lorsque j’étais au Conservatoire.
J’ai joué avec tous les acteurs de cette magnifique production, ils furent mes aînés à mon entrée dans la Maison de Molière. C’est une pièce de metteur en scène/administrateur en ce qu’elle offre des rôles nombreux, beaux, et des choeurs d’astronomes ou de religieux.
Et puis, surtout, Vitez avait Roland Bertin, j’ai Hervé Pierre. Le talent de ces deux comédiens frères permet à lui seul toutes les questions et comparaisons subsidiaires.

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