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: Satire d’une génération perdue

Prologue


Notre spectacle s’appuie sur les deux premiers volets de La Trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni. Dans la première partie, deux familles de Livourne, en Italie, se préparent à un départ en vacances. “On part ou on ne part pas ?”. L’absurdité de la situation est résumée par cette question posée par Brigida. Ce départ pousse tous les personnages à la lisière de la folie. Ils ont des bouffées délirantes, s’insultent, pleurent, rendant tragique un simple départ en vacances. Leur absence de lucidité et de recul face à cette situation les rend ridicules et pathétiques. Pourtant, derrière cette excitation se nouent de vraisdrames : des jeunes livrés à eux-mêmes, coupés detoute réalité, une société ravagée par l’image et le paraître, l’impossibilité de se parler d’amour.


“Je maudis le jour et l’heure où je suis venue ici”, nous dit Giacinta dans la deuxième partie. En villégiature, l’oisiveté et l’ennui sont les moteurs des pires règlements de compte. La société bourgeoise laisse apparaître son grotesque et sa vacuité. Les personnages se trahissent, ne se supportent plus. Les règlements de compte les plus futiles, qui étaient encore sous-jacents dans la première partie, éclatent en insultes et en coups bas. Les personnages, encore dans une bienséance feinte, craquent, tuant ainsi l’amour naissant entre les jeunes protagonistes.


Un départ, un exil volontaire, solitaire ou en groupe est toujours un moment fragile, où les pensées s’ouvrent et où les caractères se fendillent. Les personnages de cette villégiature, abandonnant leurs repères, abandonnent aussi leur vernis social et leur bienséance. Ils nous font rire et nous effraient. Ils ont la cruauté des monstres. Ils laissent entrevoir une humanité déchirée, cruelle et cynique.


Mettre en scène un spectacle d’après La Trilogie de la villégiature nous semble nécessaire car c’est mettre en scène la fin d’un monde. Celui d’une Venise en pleine déroute économique où il ne reste plus qu’un spectacle : la vacuité de l’extravagance bourgeoise. Celui d’une Europe, à l’orée d’une révolution démocratique où se débat une génération perdue, trop romantique pour pouvoir résister à son époque, trop tendre, malgré son apparente désinvolture, pour savoir sagement vieillir.


Deux volets


Ce qui nous intéresse dans cette trilogie, c’est sa structure en épisodes. Chaque partie est indépendante mais agit sur l’autre. Nous nous concentrerons sur les deux premiers épisodes. C’est cette contre-énergie que nous utiliserons sur le plateau. Il est nécessaire, pour montrer la vacuité du départ, de confronter les deux pièces. Le spectacle sera divisé en deux, avec un changement radical de scénographie entre les deux parties. Dans le premier volet, qui s’appuie sur La Manie de le villégiature, les acteurs seront dans le tourbillon rythmique que propose Goldoni. C’est justement vers les obsessions, les “manies” de chaque personnage, que portera le processus de répétition. Pour eux, une robe est une question de vie ou de mort et c’est ce premier degré tragique qui rend la situation absurde pour le spectateur. Cette première partie sera sanguine : changements d’humeur, joues rouges, fièvre, cri. La deuxième partie est beaucoup plus chorale et les enjeux montent d’un cran. Le temps est serré, il est marqué par le petit-déjeuner, le déjeuner, l’apéritif et le dîner. Cette deuxième partie est beaucoup plus polyphonique. Ils ne peuvent plus rien se cacher.


Portrait en satire


Goldoni n’est pas un chroniqueur mondain, il observe l’espèce humaine avec beaucoup d’acuité. Ses personnages sont pathétiques et tragiques mais ils nous font rire. Dans leurs délires, ils sont pourtant si simples et si proches de nous. La satire est un endroit de jeu très intéressant pour l’acteur, qui l’oblige à jouer sur un fil : entre grotesque et tendresse. C’est un jeu libre qui ne condamne jamais, qui accompagne, qui tente de comprendre, simple et doux.


Le crépuscule de la société européenne


Et si la société vénitienne que nous décrit Goldoni dans sa trilogie était la nôtre ? Celle d’une Europe en perte de vitesse, ruinée, qui n’arrive plus à imposer un modèle jusque-là dominant. Les personnages de Goldoni sont les représentants d’une Venise sclérosée : en pleine crise économique, au bord de la ruine, les deux familles de la pièce tentent de maintenir un départ en vacances coûteux et vain. Malgré les impossibilités matérielles de ce départ, ils font comme si. Ils tentent de sauver la face et les apparences. Sauver coûte que coûte le vieux modèle, ne pas en montrer les failles. Colmater. En perte de repères, ils se réfugient dans l’unique valeur sûre qu’il leur reste : l’image.


“Génération perdue”


Le tour de force de Goldoni dans cette pièce est d’utiliser la polyphonie et la mécanique rythmique pour faire ressortir la solitude et le désenchantement de chacun des personnages et plus particulièrement celui des jeunes. Il y a chez eux une impossibilité à communiquer, non pas par pudeur ou par mutisme : c’est la société qui les empêche. Il n’y a pas de place pour l’intime ou pour la parole libre. La situation est toujours plus forte : elle ne permet pas la parole. Il est impossible dans cette société d’être sincère et de se parler d’amour. La société décrite dans cette pièce de Goldoni oblige à être impeccable. Les personnages sont plus affairés à construire leur image qu’à construire leur vie et c’est le parcours initiatique de Giacinta qui est le plus représentatif à cet égard. Ses premières phrases sont relatives à la couleur de sa robe et elle finit la pièce, contrainte d’épouser un homme qu’elle n’aime pas, disant “pour moi la comédie est finie”.

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