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La Terre entre les mondes

+ d'infos sur le texte de Métie Navajo
mise en scène Jean Boillot

: Un monde au féminin

Notes de Jean Boillot

La terre entre les mondes me bouleverse parce qu’elle exerce intensément ma capacité d’empathie. Grâce à une théâtralité épurée (les paroles et les actions sont comptées), elle me rapproche de réalités lointaines, féminines, quelque part au Mexique.


Elle me donne accès à des altérités fragiles : Cécilia et d’Amalia, deux très jeunes femmes issues d’une famille maya et d’une communauté mennonite, avec chacune leurs histoires, leur langue, leurs croyances. Elle fait appel à l’esprit d’enfance qui donne accès au monde visible et invisible des Mayas où les hommes (morts et vivants), les animaux, les végétaux et les dieux coexistent au milieu de la Nature.


Les existences de ces jeunes filles sont menacées par le projet d’une ligne de train, avatar de la mondialisation, et ses effets violents : féminicides, corruption, expropriations des indigènes de leurs terres ancestrales (dernier épisode d’un combat pour la conquêtes de droits des indigènes, commencé avec la décolonisation espagnole et la Révolution Mexicaine), déforestation et culture intensive, assèchement, épuisement des sols, exportation des récoltes sans que les habitants n’en profitent, exactions des narcotrafiquants.
Tenant à distance ces violences, la scène est comme un refuge pour ces existences évanescentes. Un autre monde s’y développe qui se conjugue au féminin.


La pièce raconte le combat discret de femmes pour leur émancipation par la transmission féminine des savoirs. La grand-mère Abuela a appris à sa petite fille Cécilia, la langue et la culture maya. A son tour, Cécilia transmet son savoir, à la fois scolaire et culturel, à Amalia qui le reçoit. La pièce se termine sur une utopie féministe, après qu’un ouragan, vengeant le meurtre d’Amalia, ait tout emporté. Emergeant du déluge, la rencontre de Cécilia et de La femme de plusieurs vies, est le prélude d’un autre monde possible. Et cela commence par une danse.


La terre entre les mondes met en scène le combat des langues majeures/mineures : le français (avec ou sans accent), l’Afrikaans, le maya et l’espagnol. L’usage d’une langue inclut ou exclut, fait communauté ou tient à distance. L’espagnol (Métie le traduit en français pour faciliter la compréhension) est la langue majeure, mondialisée, qui rassemble les peuples issus de la colonisation espagnole, vainqueurs et vaincus. Le maya et le mennonite (en fait un bas-allemand parlé exclusivement par ces communautés) sont des langues mineures, rares : elles ne sont parlées que par quelques communautés et tendent à disparaitre sous la pression mondialisée. Ce sont aussi des langues magiques qui donne accès au monde invisible des morts et des dieux. Enfin, Abuela, la grand- mère de Cécilia, chantonne en espagnol (langue câline et nostalgique) une comptine pour appeler douloureusement sa fille la mère de Cécilia, disparue deux fois. La dramaturgie qui devient sonore et ce concert des langues contribue à la beauté de cette pièce.


POUR LE JEU


Je veux mettre en scène cette fiction bien documentée, avec l’étrangeté d’acteurs.trices d’origine étrangère, dont les corps et l’usage des langues produisent un effet de réel : la présence singulière, les traits du visage, la corpulence, tout cela dit quelque chose de l’altérité que ne peut réduire une composition.
Simplicité, hiératisme, immanence. J’aimerais un théâtre comme ça, capable de présenter les étrangetés, les altérités irréductibles qui se cachent dans les corps. Comme les portraits du photographe Richard Avedon qui capture des intensités singulières, intimes, de la vie de gens, connus ou anonymes, sur un fond blanc ; comme les images de la peinture médiévale représentaient des scènes bibliques sur fond d’or. L’opposition centrale entre Mayas et Mennonites ne peut se résumer à un contraste de couleur, il faut que ces altérités soient affinées, dans les corps, les voix et les langues.
Les Mayas, minorité indienne d’Amérique Latine se confondent dans la masse des « Latinos ». La présence de ces corps Mayas est pourtant différente, leur rapport au temps, à l’espace et surtout la langue. Le Maya très particulier, « la langue des oiseaux » comme la qualifie Amalia, pleine de consonnes enchevêtrées et de sons gutturaux. Pour jouer la famille maya, j’envisage de recruter des actrices.teurs d’origine indienne sud-américaine, qui parlent le français, l’espagnol et le maya.
Pour les trois femmes mennonites, les actrices devront jouer en français avec un accent véritable du nord de l’Europe (hollandais, flamand, allemand...) Nous devrons retrouver cette première image de trois âges de la vie d’une même femme, point de départ de l’écriture de Métie.
Nous organiserons cette année des auditions à Paris et Mexico.


J’aimerais un registre de jeu simple ; au plus proche du théâtre des langues (la matérialité des langues étrangères ou accents). C’est pourquoi les acteurs.trices seront amplifiés. A une parole « projetée », je préfère une intimité, une proximité bien dessinée. Cette expérience de l’altérité ne pourra être complète que si nous sommes au milieu d’un auditorium polyglotte, dans l’intimité des fricatives du Mayas, des explosives de l’Afrikaans, du jeu sonore des voyelles et des consonnes et des sonorités propres à chacune.


LE SON


Il occupera une place centrale : aux voix amplifiées des acteurs, s’ajouteront des sons des travaux agricoles et de la Nature (forêt, champs, animaux, ouragan) : sons que j’imagine captés sur place (Métie me raconte la puissance du chant des oiseaux et des singes). J’imagine aussi un travail musical, des trames électroacoustiques qui viennent déréaliser les sons, dont la diffusion constitue une sonographie caractérisant chaque espace (la maison de Cécilia, celle d’Amalia, la forêt...) Travail en collaboration avec un compositeur et un centre de création musicale (en cours).


LA SCENOGRAPHIE


Elle sera aussi épurée. Pour figurer cet entre monde, j’imagine un espace simple et uni, peut-être blanc, qui soit à la fois chez la famille de Cécilia, chez celle d’Amalia, l’espace des vivants et des morts, de la réalité et du rêve.
Les lieux de la pièce seront signifiés par des accessoires qui auront leur poids de réel (banc, bac à eau, jukebox, toujours pris dans leur jus...) Ils seront apportés par les comédiens au moment du jeu.


LES IMAGES


J’imagine aussi projeter sur cet espace blanc : des titres, des sur-titres, du texte, des images. Des images d’archives peut-être (Révolution mexicaine, massacre de Acteal) et images de fictions hollywoodiennes : ces fantômes qui hantent la mémoire des mayas.

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