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La Séparation des songes

+ d'infos sur le texte de Jean Delabroy
mise en scène Michel Didym

: La valise de Jean Valjean (1)

Pour La Séparation des Songes, de Jean Delabroy, j’ai la double responsabilité de conduire une actrice dans la respiration d’une oeuvre (au sens physique, s’entend) ; respiration facilitée par la topologie même de l’écriture qui indique précisément d’innombrables retours à la ligne, des césures, des suspens. Mais surtout la responsabilité d’évoquer sur un plateau de théâtre la figure d’une personne séquestrée, enlevée à elle-même et aussi aux siens pendant de longues années, perdue depuis longtemps, qu’on a crue définitivement disparue, et qui tout ce temps était dans l’asservissement d’un homme qui la tenait sous sa coupe. Sans forcément la violenter, sans forcément la contraindre physiquement, il était en tous cas parvenu à se faire apprécier de sa séquestrée au point que, bien après, il occupait et occupe encore tout son esprit.


Que faire avec cette abomination ? C’est de cette responsabilité-là que je parle. Il nous faut user d’une délicatesse infinie pour entrer dans ces univers où les limites de la raison et de la passion ont amené des êtres à naviguer au-delà de leurs mers intérieures, au-delà de l’océan de leurs propres sentiments, ils sont sur un petit rafiot qui tangue sous la houle de leur incompréhension du monde, qui chavire sous les rafales de leur incompréhension d’eux-mêmes. Cette jeune fille tente de rester debout, de ne pas sombrer, de s’accrocher à un geste, un signe tangible, une valise pleine de vêtements de petite fille, une matinée sur la plage, un chichi dont le sucre colle encore à ses doigts.


Sa fureur et sa haine, comment les tenir en scène ? Comment de tels sentiments sont incarnés? Jusqu’où les faire entendre ? De telles questions ne sont pas qu’esthétiques, elles sont politiques et éthiques, surtout.


Les artistes tirent la petite valise de leur art de dessous l’armoire. Ils la posent sur le lit. Ils tournent autour, puis soudain ils l’ouvrent et nous donnent à imaginer des continents. C’est à l’intérieur même des auditeurs que, par réverbération, se produisent alors des micro implosions de sens, des images fulgurantes qui se gravent de façon plus définitive que si on les avait vues. C’est la magie et la force absolue du texte, dans ce qu’il produit chez l’auditeur des musiques, des formes, des couleurs, bien plus puissantes que ce que l’on peut construire en art, et nous révèle des univers.


(1) La jeune fille retrouve sous le lit de son ravisseur une valise, avec les vêtements qu’elle portait le jour de son enlèvement, référence aux Misérables, de Victor Hugo.

Michel Didym

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