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La Ronde du carré


: La Pièce

Après sa splendide mise en scène de la Gertrude de Barker, Giorgio Barberio Corsetti revient à l’Odéon pour y créer l’une des dernières oeuvres de Dimitriadis. La Ronde du carré s’est d’abord intitulé Le Cercle carré : Dimitriadis avait choisi de désigner son oeuvre par un oxymore – et donc, de baptiser cet objet de représentation qu’est un texte théâtral en recourant à la figure d’une contradiction irreprésentable. Ce texte paraît pourtant, quand on en aborde la lecture pour la première fois, d’une extrême simplicité : où donc se cachent les paradoxes ou les impossibilités dans ces scènes simples et compréhensibles qui se succèdent ? Mais les labyrinthes les plus profonds sont souvent ceux qui dissimulent leur seuil, et où l’on entre sans y réfléchir à deux fois. Les personnages qui peuplent celui-ci, désignés par de simples noms de couleur, se répartissent en quatre groupes au sein d’ “un seul espace, ouvert ou fermé, composé de quatre unités”. Ce sont sans doute ces quatre unités qui, dans l’esprit de l’auteur, définissent à la manière de quatre coins l’espace de son fameux “carré”. Dans chaque groupe, une crise amoureuse suit son développement tragique. Verte retrouve Vert après l’avoir quitté, prête à tout accepter pourvu qu’il la reprenne ; Ciel et Cielle viennent consulter Noir à propos de l’unique problème que connaît leur couple ; Violette avoue à Violet qu’elle va le quitter pour Gris, son meilleur ami ; Jaune et Rouge, qui se partagent les faveurs de Bleu, se demandent lequel des deux il aime le plus et décident d’en avoir le coeur net. Des histoires d’amour qui avancent peu à peu : on comprend pourquoi Dimitriadis a choisi de parler de “ronde”. Le titre que l’auteur a finalement retenu pour sa pièce permet en effet de préciser deux nuances. D’abord, à la simple géométrie s’ajoute ici l’élan d’un dynamisme ou d’une danse. Ensuite, la “ronde” fait peut-être allusion à la fameuse pièce d’Arthur Schnitzler, où les différentes formes de la rencontre érotique sont explorées, de couple en couple, le long d’une chaîne amoureuse qui fait voyager le désir à travers toutes les strates d’une société. Mais là où Schnitzler traite Eros à la façon d’une puissance contagieuse qui se propage de proche en proche, Dimitriadis l’assigne strictement à résidence dans des cases étanches jusqu’à l’obsession : jamais en effet les membres d’un groupe donné ne rencontrent les membres d’un autre groupe. Le dynamisme de la “ronde” n’est donc plus celui de la joyeuse circulation d’une force en continuelle expansion et impossible à confiner, mais bien plutôt celui d’une implacable réitération. Car chaque situation évolue à son rythme, s’achève – et recommence, soumise à des reprises et à des variations qui intensifient les échanges, creusant les paroles, échangeant les rôles “jusqu’à l’épuisement final des permutations (…) organiquement intégrées à l’accomplissement définitif” du thème de la pièce, note Dimitriadis dans les dernières lignes – “si l’on émet l’hypothèse qu’il puisse s’accomplir un jour, ne serait-ce que pour atteindre ses limites ultimes, le néant”. On songe dès lors à un tragique inédit, qui aurait l’aspect et la structure d’un Rubik’s Cube : des fragments de surfaces colorées tournent, pivotent, se recomposent, entrent dans un nombre vertigineux de combinaisons – sans jamais cesser de reconstituer le même volume. Mais à la différence du cube de Rubik, le carré de Dimitriadis n’aurait pas de solution et serait plutôt une figure de l’éternel retour. Car selon le poète grec, une oeuvre doit se poursuivre au-delà de sa propre fin, et La Ronde du carré propose sans doute à son metteur en scène la formule dramatique d’un tel refus de toute limite. Comment donc le donner à voir ? Corsetti, avec son sens inné de la forme et son goût des écritures contemporaines, a accepté de relever cet énigmatique défi, multipliant à cette occasion avec l’aide de son collaborateur Cristian Taraborelli les trouvailles qui sont la marque de ses mises en scène. Personne n’a oublié les brillantes solutions scénographiques qui ont fait de Gertrude, de Howard Barker, l’un des spectacles marquants de la saison passée ; Corsetti et Taraborelli, à cette occasion, se sont d’ailleurs vu décerner par le Syndicat de la Critique le Prix des Meilleurs Créateurs d’Eléments Scéniques. Cette année encore, leur lecture inventive de La Ronde du carré réserve au public quelques belles surprises – qu’enrichiront leurs retrouvailles très attendues avec la plupart des comédiens qui étaient déjà de l’aventure de Gertrude, dont Cécile Bournay, Christophe Maltot, Luc-Antoine Diquéro et Anne Alvaro.

Daniel Loayza

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