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La Puce à l'oreille

+ d'infos sur le texte de Georges Feydeau
mise en scène Lilo Baur

: Entretien avec Lilo Baur

Propos recueillis par Laurent Muhleisen et Oscar Héliani

Laurent Muhleisen et Oscar Héliani : Après Nicolas Gogol, Marcel Aymé, Federico García Lorca et Sergi Belbel, vous retrouvez les Comédiens-Français avec Feydeau. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?


Lilo Baur. Il y a deux ou trois ans,j’ai fait part à Éric Ruf de mon souhait de monter une comédie avec la Troupe. Je pensais à Feydeau ou à Aristophane – grand auteur comique quand on est face à une bonne traduction. Je lui ai proposé ces deux auteurs et c’est lui qui a tranché. Comparée à d’autres pièces du même auteur,La Puce à l’oreille se distingue par une grande diversité de personnages et par une incroyable musicalité. Outre les défauts d’élocution et de prononciation dont il accable ses personnages,Feydeau a recours, entre autres ressorts comiques, à l’apparition d’un sosie ainsi qu’à un ingénieux système de tournette. Au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue,on assiste à une formidable mise en abyme du malentendu et du quiproquo ; et ce qui accentue encore l’effet comique, c’est que le spectateur a constamment un temps d’avance sur les personnages.


L. M. et O. H. Pourquoi avoir transposé l’action dans les années 1960, à la montagne et pendant la période de Noël ?


L. B. J’avais envie de quitter le contexte parisien. En voyant le film avec Peter Sellers La Panthère rose(1963) dans lequel des gens aisés passent leurs vacances dans une station de ski, l’idée de s’éloigner de Paris s’est renforcée et a été définitivement adoptée. J’avais envie d’un intérieur bourgeois avec une grande baie vitrée à travers laquelle on voie la neige.Un contraste entre le calme à l’extérieur et l’hystérie dans l’appartement. En outre, les années1960 sont la décennie où je suis née. Mes parents avaient fait construire une maison dans laquelle j’ai grandi, où le mobilier était tout en couleurs pop, et j’adorais ça.Enfin, la période de Noël est propice aux stimulations du bien-être de l’âme, c’est le moment de l’an-née où il est question de chaleur et de rapprochement ; cela correspond parfaitement à l’ambiance et à la raison d’être de l’hôtel du Minet-Galant, un établissement tenu par un ancien militaire qui fait tout pour que l’on se sente bien chez lui, allant jusqu’à trouver un subterfuge pour cacher les amants illégitimes.


L. M. et O. H.L’écriture d’un vaudeville comme La Puce à l’oreille est très rigoureuse. Quelle part de liberté laisse-t-elle à la metteuse en scène que vous êtes pour générer les effets comiques ?


L. B. Le comique de l’absurde m’a toujours passionnée. J’ai évoqué avec les comédiens les bandes dessinées de Tex Avery et leur ai montré des extraits des documentaires Quand le rire était roi et La Grande Époque de Robert Youngson qui analysent des scènes de films muets et burlesques de Charlie Chaplin, Laure let Hardy, Buster Keaton, etc. En parallèle, j’aime que les acteurs ajoutent leur propre univers. Je suis toujours curieuse de savoir ce qui les fait rire, eux. La liberté que je peux m’autoriser est dictée par la musicalité de la pièce. J’aime ajouter des éléments totalement incongrus mais je prends soin de vérifier qu’ils s’intègrent bien à l’ensemble, qu’ils produisent l’effet comique escompté sans gêner le rythme de la scène. C’est une question de cohérence.


L. M. et O. H. Comment avez-vous réfléchi à la conception du décor, au choix des costumes et à l’intervention de la musique ?


L. B.La pièce se déroule dans deux lieux. Aux premier et troisième actes : le domicile du directeur de la Boston Life Company. Il s’agit d’un grand salon bourgeois,convivial et rassurant, avec plusieurs portes desservant l’ensemble des pièces et une baie vitrée permettant de suivre les actions qui se déroulent à l’extérieur. Au deuxième acte, on est à l’hôtel du Minet-Galant qui nécessite la présence d’un escalier et de la fameuse tournette ! On observe un effet miroir entre l’appartement des Chandebise, antre supposé de la franchise mais qui se révèle être un haut lieu de faux-semblants, et l’hôtel, censé abriter des comportements secrets mais où les gens sont finalement eux-mêmes.Concernant le style vestimentaire,nous avons choisi de respecter l’élégance des années 1960. Agnès Falque a visionné des longs métrages et des séries de cette époque, notamment Diamants sur canapé(1961) de Blake Edwards. Pour la musique, avec Mich Ochowiak, on a puisé dans le répertoire des années 1960 et les musiques de film de Jacques Tati ou de Mel Brooks, Frankenstein Junior, par exemple.


L. M. et O. H. Selon quels critères avez-vous élaboré votre distribution ?


L. B. J’aime beaucoup le contre-emploi. J’essaie d’emmener les comédiens à des endroits où on a moins l’habitude de les voir, de faire ressortir le potentiel comique de certains d’entre eux parfois cantonnés dans des rôles tragiques. C’est ainsi, par exemple,que j’ai pensé à Serge Bagdassarian pour le rôle de Victor-Emmanuel Chandebise, assureur d’une compagnie internationale, et pour celui de son sosie Poche, un homme paumé et alcoolique. J’ai demandé à Serge de marquer la différence entre les personnages tant par la voix que dans son corps pour donner l’impression qu’il joue dans deux pièces simultanément. Anna Cervinka interprète le rôle de Raymonde Chantebise. Pour ce couple, je trouvais que la différence d’âge était un élément crédible.


L. M. et O. H. À notre époque où le combat pour l’égalité des femmes et des hommes avance à grands pas et qui voit l’éclatement du modèle bourgeois, en quoi la satire des mœurs faite par Feydeau est-elle pertinente ?


L. B. La fidélité, la jalousie, l’amour et la passion, avec les chagrins qui les accompagnent, sont des thèmes éternels. Chez Feydeau,un peu comme chez Molière, ce sont les domestiques qui cassent les codes, disent les choses sans y mettre les formes, prennent des amants sans se poser de questions. En somme, ils osent ce que leurs employeurs bourgeois ne font pas. Dans mon parti pris « spatio-temporel », je pro-jette l’histoire et les mœurs de Feydeau dans l’univers des années 1960, les mœurs étaient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Grâce au livre de Sybille Bedford The Trial of Lady Chatterley’s Lover, j’ai découvert qu’en 1959, l’éditeur Penguin Booksn’ a pu distribuer la version non expurgée du livre de D.H. Lawrence qu’après avoir gagné le procès qui lui était intenté pour publications obscènes et immorales, et qu’une fois qu’il eut démontré la valeur littéraire de l’ouvrage ! Dans la pièce,le féminisme est sous-jacent mais encore timide puisque le modèle qui prévaut reste celui du couple bourgeois. Raymonde Chandebise confie à son amie que son mari lui faisant moins l’amour, elle a songé à prendre pour amant l’associé (et meilleur ami) de ce dernier, ce qui,pour elle, vaut mieux que de se jeter dans les bras d’un inconnu.Feydeau savait pertinemment qu’il s’adressait à un public bourgeois reproduisant les mêmes schémas.Sur ce point, il rejoint le Shakespeare du Conte d’hiver qui faisait déjà dire à Léontes dans une adresse au public : « Il y a eu, ou je suis bien trompé, des hommes déshonorés avant moi ; et à présent, au moment même où je parle, il est plus d’un époux qui tient avec confiance sa femme sous le bras et qui ne songe guère qu’elle a reçu des visites en son absence, et que son vivier a été pêché par le premier venu, par monsieur Sourire, son voisin » (acte I, scène 2,trad. François Guizot).


Propos recueillis par Laurent Muhleisen et Oscar Héliani, juillet 201

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