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Accueil de « La Princesse transformée en steak-frites »

: Entretien avec Frédéric Bélier-Garcia

propos recueillis par Pierre Notte

Comment et à partir de quels éléments construisez-vous ce spectacle ?


Quatre contes forment la base du spectacle. Je les ai choisis pour les variations qu’on y trouve autour des personnages primitifs du conte : l’ogre, la princesse, la bergère et le prince charmant. Ces histoires fonctionnent comme quatre bassins de culture sur la féminité, la quête de l’amour, la pugnacité sensuelle, la solitude et les stratagèmes que nous déployons pour l’éviter ou la masquer. Christian Oster contamine le conte de fée traditionnel et ses figures archaïques de la ligne plus tremblée de nos incertitudes contemporaines.


« Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité. »(Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim)


On trouve ici autour des personnages archétypaux du conte (l’ogre, la princesse, la bergère, la fée, le loup, le prince charmant) autant de points de vue sur la féminité, l’amour, notre voracité sentimentale et nos désarrois affectifs. Mais ici, ces personnages héroïques, habituellement si droits dans leurs bottes et dans leurs rôles, sont assaillis d’hésitations, perclus d’inquiétudes. Ils deviennent, comme nous, si peu sûrs de leurs fonctions, enfants égarés dans des corps d’adultes, de géant ou de loup. Christian Oster insinue, avec un formidable humour, le doute et donc la comédie dans le conte de fée.


Mais, comme les contes anciens, le spectacle est quand même destiné à tout le monde, et bien évidemment aux enfants ! L’un des contes sera traité comme un feuilleton, les trois autres seront représentés comme des tableaux animés. On retrouvera les personnages à des âges différents. Il y aura des allers-retours, des coïncidences, des jeux de ressemblances, de dissemblances, de méprises. C’est un jeu de piste entre le bien connu et l’inquiétante étrangeté. Les quatre contes ont chacun leur histoire, leur suspens, leur dilemme. Tous les héros se trouvent, dans chaque fable, confrontés à des choix fondamentaux : mentir ou avouer, tuer ou aimer, combattre ou fuir.


Allez-vous faire entrer cette narration éclatée dans la boite noire de la salle Topor ?


L’univers du conte, avec ses transformations magiques, ses figures, ses animaux, est probablement le mode narratif le plus éloigné du théâtre et de ses aptitudes. Nous aimerions, avec la scénographe Sophie Perez, faire apparaître dans la petite boîte noire des paysages enneigés, des clairières où l’amour est enfin possible, un château, des forêts profondes et des troupeaux de moutons ! On y travaille. On tentera de viser une sophistication extrême, sans jamais avoir les moyens de l’atteindre. Je tiens à des images particulières : celle de la cage où la princesse est retenue prisonnière par l’ogre, les terres sous la neige ; c’est une gageure ! Ce ne sera jamais une parodie, mais chaque conte sera raconté d’une façon particulière. Les quatre acteurs joueront l’infinité des héros des contes, se transformeront pour devenir aussi le tout petit personnel du monde féerique. La petite salle est une contrainte souhaitée, elle participe de cette impossibilité positive qui est au coeur du conte de fée, le merveilleux n’étant rien d’autre que licence ludique avec le possible.


Aprés les textes de Roland Schimmelpfennig, Hanokh Levin, pourquoi se pencher sur les contes de Christian Oster ?


J’ai toujours beaucoup aimé ses romans aux Editions de Minuit, et j’ai retenu les droits de son avant dernier roman, Dans la Cathédrale, pour en réaliser une adaptation au cinéma. J’ai lu ses contes écrits pour les enfants. Il s’agit bien des mêmes indécisions amoureuses, de la même fragilité des choix humains, même si ici ces enjeux sont grimés et augmentés à la mesure des personnages qui les portent : le prince est-il plus charmant qu’un ogre ? Les princesses ont-elles vraiment envie d’un prince ? On retrouve tous les atermoiements de l’amour dans ses contes, où les personnages ont quitté leur intégrité légendaire. Ils se fissurent, se fragilisent. Christian Oster dit d’ailleurs ne pas écrire ses contes spécifiquement pour les enfants. Ses histoires sont comme une émanation involontaire de son activité littéraire. La source est la même que celle de ses romans «majeurs». J’ai beaucoup aimé cette féerie maladroite des humains mal foutus, trop grands, trop monstrueux, trop cruels. Ils sont un peu comme nous enfants égarés dans des grands corps d’adultes, s’efforçant maladroitement de jouer leur rôle ancien (de roi, de mari, d’homme, de femme).


Mes choix de texte, depuis Biographie: un jeu procèdent toujours d’un principe d’étonnement. Le cinéma, la littérature romanesque ou la philosophie, du fait de mon passé ou de mon passif, ont plus d’évidence pour moi que le théâtre. Les textes que je choisis me semblent toujours appeler une justification. Ils ont en commun de ne pas se prêter sans médiation à la représentation (trop naïfs, trop éclatés…). Le geste même de leur mise en scène me semble être de justifier leur présence sur le plateau, et dans cet effort même de faire scintiller quelque chose de nouveau, parfois j’espère, une humeur du monde, une reflexion légère ou évasive sur le dur métier de vivre.

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