theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Porte du Non-Retour »

La Porte du Non-Retour

+ d'infos sur le texte de Philippe Ducros
mise en scène Philippe Ducros

: Note d'intention

La Porte du non-retour


Une salle noire. Quarante-neuf photos. Un audioguide. Le spectateur enfile le casque d’écoute. Commence alors un monologue intérieur, un voyage au coeur des exodes d’hier et d’aujourd’hui… Comme décor à ces migrations, l’Afrique. Celle des négriers, des réfugiés, des exodes urbains, des déplacés des guerres et de la misère. Afrique de l’Ouest, Éthiopie, et surtout République Démocratique du Congo : autant d’exodes forcés, de témoignages des guerres et de l’esclavagisme, moderne et ancien. Et finalement, une dernière migration, la mienne, en ces terres d’abandon. Un parcours initiatique entre la photo et le récit sur la part en nous qui se métamorphose au contact de ces migrations et de ceux qui les suivent. Sur l’écart qui grandit entre nous et le monde quand on fait face à ses marges, quand on écoute ceux qui y vivent. Sur les fragments qu’on laisse aux coins de la terre. De ces voyages, je comprends que jamais, je ne pourrai revenir tout à fait. (…) Le titre du déambulatoire théâtral et photographique vient de monuments que l’on retrouve à quelques endroits en Afrique de l’Ouest, érigés en mémoire des millions d’esclaves déportés vers l’Amérique. Une fois cette porte passée, les Africains savaient que jamais plus ils ne reviendraient.


Un monologue intérieur


Un monologue intérieur, murmuré par deux acteurs : le voyageur et le souvenir de celle qui l’attend, mais dont il s’éloigne. Grâce à un système d’audioguides, le spectateur est seul avec les pensées chuchotées dans son casque d’écoute, à l’image de ces voyages bouleversants que j’ai faits en solitaire. (…) Le texte est issu de deux voyages. J’ai réalisé le premier en 2008, de l’Afrique de l’Ouest, d’où sont partis les négriers, jusqu’à l’Éthiopie des grandes famines, celles qui ont terrifié l’imaginaire de mon enfance. Une descente qui aboutit au creux du désert, du vide, dans le camp de Kebribeyah où vivent 16000 réfugiés somaliens. Ces réfugiés, ce sont les retailles de nos civilisations. Le second voyage a eu lieu plus récemment, cette fois-ci en République Démocratique du Congo, de Masina, commune populaire de Kinshasa la débordante, jusqu’au camp de déplacés internes de Mugunga 3, au Nord Kivu, là où aujourd’hui encore les conflits rivalisent d’horreurs aux pieds des volcans. Là-bas, le viol est devenu épidémique. Les conflits de la RDC ont causé de trois à cinq millions de morts depuis 1994 : un record macabre depuis la Seconde Guerre mondiale. (…) C’est un monologue à deux voix car, lorsqu’on est à l’autre bout du monde, il ne reste souvent qu’une seule ancre pour nous rappeler le chemin du retour. Cette ancre, c’est elle, celle qui nous attend, seule malgré elle. Celle avec qui l’on correspond, celle qui continue à nous parler la nuit, malgré les océans qui nous séparent. Celle qui, peu à peu, malgré nous, s’estompe. Son visage s’efface et c’est bouleversant. La voix de l’aimée peu à peu se dissipe, se mélange à celles des femmes du camp de Mugunga 3. Ces femmes violées, qui restent dignes, qui allaitent les enfants des violences.


Des photos pour décor


Comme paysage à ce déambulatoire aux frontières de notre humanité, comme décor à ces scènes, une salle d’exposition : quarante-neuf photos. D’image en image, le spectateur voyage, porté par les voix qu’il écoute. C’est un regard d’artiste sur ces migrations… La noblesse des combats devient, dans ce lieu d’art, notre combat, notre humanité. Plus qu’une exposition, la mise en scène de cette création prend la forme d’un déambulatoire pour immerger le spectateur dans ce parcours, dans son histoire et son évolution. C’est surtout un séjour à l’intérieur du voyageur qui est proposé. Le personnage n’est pas sur une scène devant le spectateur. Il est en lui. C’est lui qui voyage. Par ces audioguides, je veux m’infiltrer en l’intimité du spectateur pour, doucement, le mettre face à face avec ces réalités difficiles à imaginer. Et aussi parler d’une autre migration, plus intime : la mienne. C’est, pour moi, un bilan nécessaire. Au fil de mes voyages, ma vie explose peu à peu en mille et une personnalités laissées sur les frontières, dans les chambres anonymes, là où le savon a la même odeur peu importe où. Un jour, je ne reviendrai pas. La saveur de la vie est souvent beaucoup plus puissante au creux des camps. Et bien souvent, je me sens beaucoup plus près des gens que j’y rencontre que de mes voisins de palier à Montréal. C’est une réflexion sur l’engagement et l’adrénaline. Sur l’intime du politique et les traces des insomnies. (…) Le texte et les photos qui lui servent de décor décrivent brièvement ce qu’on ne peut voir, ce qu’on ne veut pas voir, la violence de la pauvreté, l’absence de compassion. L’absence d’espoir et d’eau. Peu à peu, le narrateur désapprend l’Occident. Peu à peu, il laisse traîner ses coupures d’ongles dans les rêves des autres. On dit au Togo qu’il ne faut pas laisser traîner ses ongles, le féticheur peut ensuite les ramasser et les glisser dans une de ses poupées pour vous ensorceler…


Des audioguides comme théâtralité


Quand on voyage seul, commence alors un discours avec soi-même. Ce discours peut devenir schizophrénique, tant il devient irréel, déconnecté du connu et des repères qui sont les nôtres. C’est cet effet que je cherche à réaliser au travers de ces audioguides : quelque chose de chuchoté, de murmuré, d’intérieur. Une pensée qui prendrait comme scène l’intime du spectateur. Qu’il soit seul, en lui-même, face aux enfants des dépotoirs, aux réfugiés privés d’eau, à l’errance. Pour que cette expérience soit la sienne, non pas celle d’un personnage à l’extérieur de lui, devant lui. (…) Il me semble que l’art peut dire des choses que le journalisme ne peut pas. C’est l’une de ses forces, de ses beautés. Je veux dire, écrire, faire des spectacles sur les laissés-pour-compte de nos civilisations globalisantes. D’ailleurs, aller jusque là-bas, c’est aussi leur dire que nous ne sommes pas indifférents. Mais je crois que c’est, avant tout, parler de nous. De moi aussi. Moi qui deviens peu à peu un autre, comme le disait Rimbaud. Un jour, j’ai l’impression que je ne reviendrai pas. Et c’est de cela dont parle aussi ce projet.

Philippe Ducros

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.