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La Pluie d'été

+ d'infos sur le texte de Marguerite Duras
mise en scène Monique Hervouët

: Note d'intention

C’est en 1990,
au sortir d’un long coma, que Marguerite Duras écrit « La pluie d’été ». Ce petit roman en forme de conte, elle l’avait ébauché avant de partir à l’hôpital. Quand elle se réveille, elle demande un crayon et du papier pour continuer le manuscrit. Comme elle a su le faire durant toute sa vie d’écrivain, elle reprend ici une matière déjà explorée dans le film « Les enfants » tourné en 1985 à Vitry-sur-Seine. Le récit est à nouveau centré sur le personnage d’Ernesto « ce modèle de l’intelligence moderne et du désespoir politique » .


Elle meurt en 1996.


Sans chercher à y lire, comme certains inconditionnels, un message testamentaire, on est frappé par l’extraordinaire vitalité décapante du propos qui résume, en à peine 150 pages, la posture singulière d’une écrivaine majeure du XX ème siècle qui, revenue de la mort, ose la sérénité malicieuse d’un élan mystique inattendu.


Regard neuf sur la banlieue, l’immigration, le chômage et l’école : Duras donne un coup de pied dans la fourmilière tenace des clichés et c’est en sociologue sentimentale et philosophe qu’elle signe ce conte merveilleux où beauté, génie, amour sont compatibles avec précarité.


Ernesto a 12 ans.
Et un corps d’homme. Il vit à Vitry-sur-Seine dans un deux-pièces de l’assistance sociale flanqué d’un appentis et chauffé par des poêles à mazout en bon état du Secours catholique. Son père est un maçon italien sans travail. Sa mère est une décalée, désaccordée du monde, joyeuse et désespérée, chantant à tout va ses origines slaves. Débordante d’amour pour ses nombreux enfants, mais si inquiète de leur devenir que lui vient souvent le désir profond de les abandonner.


L’inertie sociale de cette famille marginalisée est une chance pour le récit. Vacance d’activité, le chômage offre au temps productif une alternative archaïque, celle de pouvoir « vivre la beauté simple du fait de vivre, en soi, dépouillé des superstructures ». Dans cette famille inculte, les livres existent, trophées de la récup’ : ceux que les parents trouvent dans les poubelles ou sur les banquettes du RER comme « La vie de Georges Pompidou » ou encore « La forêt normande », les albums que les brothers et sisters vont lire dans les allées de Prisu, et puis, soudain… LE LIVRE découvert par Ernesto. Un livre brûlé avec un trou au milieu. L’Ancien Testament, de toute évidence. Alors l’histoire peut commencer et le réel s’enfler de merveilles en « ique » : philosophiques, poétiques, politiques et… comiques.


A la fin de sa vie,
Marguerite DURAS, disait ne plus lire que la Bible, et précisément l’Ecclésiaste, le « livre du roi de Jérusalem ». Ecrit au III ème siècle avant JC, c’est de ce texte de doute et de désenchantement que nous proviennent les fameuses formules : « Rien de nouveau sous le soleil », « Vanité des vanités, tout n’est que vanité et poursuite de vent ».
Le livre brûlé d’Ernesto l’initie au grand Tout, à la connaissance universelle. Branché directement sur l’origine du monde, sur le pourquoi des choses, il approche l’inexistence de Dieu et philosophe sur le monde. En conséquence, il déclare ne plus vouloir aller à l’école car « on y apprend que des choses qu’on ne sait pas ».


« On y apprend que des choses qu’on ne sait pas »
La formule est durassienne en diable. Elle sent la transgression et le cirque provocateur qu’on aime. Ernesto, en effet, ne voit pas pourquoi « ce serait la peine ».
De son enfance dans les forêts sauvages d’Indochine, Marguerite, mauvaise en classe -au grand désespoir de sa mère institutrice- a acquis l’intuition que la connaissance pouvait être « secrétée » par le monde parce qu’il est poreux. Qu’on peut apprendre de la nature, du regard, du vent, d’une certaine incandescence à être là.
Pas forcément compatible avec les méthodes scolaires.
« Le monde est foutu, monsieur Ernesto » finira d’ailleurs par avouer l’instituteur gagné par le doute.


« Je ne voudrais pas vivre après l’an 2000 ».
Cette époque délicate, orpheline de rêves et d’utopies qu’est la nôtre, c’est peut-être elle qu’a pressenti Ernesto.
« C’est pas la peine, Monsieur »
Pas de boulot, pas d’idéal, tout est vanité et poursuite de vent ?
Sauf l’amour. Dans ce grand corps enfantin d’Ernesto où le doute est solitude et où s’autoféconde la connaissance universelle, l’amour est effroi et jouissance. « Cette liberté excessive, débordante, révolutionnaire dont il voudrait disposer », Ernesto la vit aussi dans l’amour incestueux avec sa soeur Jeanne. Comme Marguerite avec son frère cadet, dans la touffeur des nuits coloniales de l’enfance.


Quand tombera enfin la pluie d’été « forte et drue comme un flot de sanglots », Ernesto adulte finira la fable en quittant Vitry et sa soeur Jeanne pour voir venir à lui le monde.

Monique Hervouët

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