theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Plénitude des cendres »

La Plénitude des cendres

+ d'infos sur le texte de Yan Allegret
mise en scène Yan Allegret

: Rencontre avec Hacine Chérifi, ancien champion du monde des poids moyens

J’ai eu besoin, pour ancrer ce projet dans une véritable confrontation, de mesurer mes intuitions à la réalité du monde de la boxe. La rencontre avec Hacine Chérifi a été le déclencheur final.


Hacine Cherifi est un boxeur français. Il a été champion du monde des poids moyens en 1998 (nul avant lui ne l’avait été depuis Marcel Cerdan, nul ne l’a été depuis), champion d’Europe (1996) et quatre fois champion de France entre 1995 et 2002. Son parcours est d’une richesse exceptionnelle. Il est le seul boxeur français dans sa catégorie à avoir pu rencontrer tous les plus grands noms mondiaux de la dernière décennie (Felix Trinidad, William Joppy, Keith Holmes, Harry Simon). Il a boxé des légendes comme des seconds couteaux, a combattu dans les temples américains (Las Vegas, Washington) comme dans les petites salles de banlieue. Hacine Chérifi est reconnu comme un boxeur dur, offensif, mais aussi humble et généreux. Après avoir boxé au plus haut niveau pendant treize ans (1992-2005), Hacine Chérifi a raccroché les gants en Juin 2005. Il totalise 48 combats, 36 victoires dont 20 par Ko, 1 nul et 11 défaites.


De par son trajet long, emprunt de chutes, de sommets et d’une détermination jamais démentie, Hacine Chérifi incarne à mes yeux, plus que tout autre combattant en France, la boxe dans toute sa complexité, sa beauté, son humanité.
Je suis allé le rencontrer à Lyon, il y a deux ans. Je l’ai écouté parler de ses combats. J’ai retrouvé dans sa parole la même solitude que celle de l’acteur de théâtre, la même lente préparation souterraine, la même nécessité d’être au présent, le même vertige face au public et les mêmes cendres après la confrontation.


Entendre Hacine Chérifi parler de sa carrière m’a aussi permis de redécouvrir la puissance d’évocation de la parole. J’ai éprouvé tout au long de nos conversations une véritable expérience du pouvoir des mots sur l’imaginaire. Comme cela arrive parfois au théâtre. Il n’y a rien sur le plateau. Un être parle et soudain, sur le fil tendu entre celui qui parle et celui qui entend, il y a tout.
Le récit qu’Hacine Chérifi a fait de ses affrontements passés a créé en moi des images, des sons, des rythmes, des intensités. J’ai vécu à travers la parole nue du combattant des assauts que je ne verrai jamais. Cela m’a ramené de manière troublante à certains monologues des tragédies grecques. Quand le messager qui a vécu et survécu à la bataille vient en faire le récit à ceux qui ne l’ont pas traversée; l’acte de la parole mêlant alors passé et présent, les mots devenant à la fois les instruments du récit et les armes du combat qui renaît au présent.


Hacine Chérifi parle de la boxe comme il a combattu sur le ring: avec la même flamme, la même générosité. J’aurais pu écrire sur le mode du documentaire un récit de son expérience. Mais immédiatement, l’évidence s’est imposée d’elle-même. Il fallait faire théâtre de cette parole et la donner à entendre dans sa simplicité, faire théâtre de la rencontre, des intuitions accumulées au fil des années, et créer les conditions d’une confrontation véritable. J’ai proposé à Hacine Chérifi de participer à un projet qui mêlerait boxe et théâtre, et qui impliquerait sa présence sur le plateau. Il a accepté sur le champ.


- Comment tu définirais ta boxe ?


- Offensive. C’est ce qui m’a fait me retrouver à terre sur pas mal de combats. En même temps, ça a été ma force aussi. Même si je connais la défense, la gestion du combat, ma boxe est toujours restée offensive.


- Tu as gagné ton championnat du monde de cette manière. En imposant ta boxe, en mettant la pression sur Holmes pendant douze rounds.


- Oui. Souvent, on prend les deux premiers rounds pour l’observation. C’était le temps dont Holmes avait besoin pour s’installer et diriger le combat. Je suis rentré dedans tout de suite, en cassant la distance, en imposant le corps à corps. Et je l’ai emporté comme cela.


- J’ai noté quelque chose dans tes combats. Quand tu es envoyé au sol, tu te relèves toujours, même en difficulté. C’est toujours l’arbitre qui doit t’arrêter.


- Oui. (rires) Heureusement.


- Tu n’as jamais été KO ?


- Non. J’ai déjà été compté jusqu’à Huit, jusqu’à dix, mais je n’ai jamais été KO. L’arbitre n’a jamais arrêté le compte parce que j’étais KO.


- Contre Sturm ?


- Contre Sturm, c’est un coup au foie. Impossible de me relever. On le voit sur mon visage. Je n’ai jamais eu mal comme ça. Tu sais, je suis tombé pas mal de fois, je me suis toujours relevé mais là, au foie, c’est la seule fois où j’ai été compté dix. J’ai cru qu’il avait trouvé une ouverture mais en fait non, le coup est parti comme ça, sans réfléchir et il m’a touché. « Lucky punch ». Mais c’est comme ça. C’est la boxe.


- Et avec Félix Trinidad?


- Il y a quelque chose qui est marrant. La première fois que Trinidad me touche, dans le second round, je ne prends pas le coup, j’accompagne, je rigole. Après quand il me touche au quatrième round, là j’accuse le coup. Je me dis: « si j’en prends un autre je vais être KO ». Il me retouche, je tombe. Ca m’énerve. J’étais plus énervé que touché. Et quand je me relève, l’arbitre m’arrête. Il m’arrête parce que je fais une erreur. Je me suis dit plus tard « heureusement que j’ai fait cette erreur ». Quand l’arbitre me demande si ça va je dis: « Oui ». Si tu vois le combat, tu vois que je tourne le dos à l’arbitre. C’est là que tu t’aperçois que je suis vraiment touché. Si je ne m’étais pas retourné devant l’arbitre, il me renvoyait au combat et là, j’étais KO. Heureusement, je tourne la tête, je repars dans l’autre sens pour essayer de récupérer et l’arbitre voit bien que je suis déjà KO. Il arrête tout. Je me retourne, je ne comprends pas. Sur le coup je me dis « Qu’est-ce qu’il fait ? Je lui ai dit que ça allait! ». Je vois que tout le monde monte sur le ring, je suis énervé. Je regarde mon entraîneur et je vais le voir dans le coin: « Je crois que l’arbitre a eu raison ». Comme ça. Si je me retourne pas et que je reste debout, il me renvoie au combat et là je serais resté comme une pomme parce que j’étais vraiment KO.


Extrait d’interview Hacine Chérifi – Yan Allegret. Octobre 2005

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.