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La Nuit juste avant les forêts

mise en scène Matthieu Cruciani

: Notes de mise en scène

par Matthieu Cruciani

Qu’y vois-je ? Ce bas quartier qu’arpente l’homme de La nuit, je l’ai un peu connu, à ses marges, comme beaucoup de jeunes gens. J’ai rencontré alors, nocturnes, ces petits prêtres vaudous qui soliloquaient, ces voyous nerveux, fiévreux, s’inventant des théologies particulières, des rites personnels, se baptisant de dieux secrets, lisant dans les signes, élucubrant de grandes gestes écrites en langue de feu dans les insignifiants aléas quotidiens d’une vie globalement oppressée. Ceux qui étaient nés de plain pied et qui y avait droit légitime sur leur contrebande. On ne savait trop d’où ils venaient, comment ils (sur)vivaient. Ni où ils dormaient.


Tordus par le monde et ses grandes gifles, ils ne se plaignaient pas. Je les voyais seigneurs, souvent drôles, parlant de rixes et de menus larcins, organisés autour de héros aux faits d’armes douteux : bravaches, bandits, beaux, seigneurs des marges et des alcools trop forts. Batailleurs, obliques, fiers, adolescents éternels. D’étranges grand frères.


Je me souviens de quelques prénoms. Leur fierté surtout m’en imposait. Mais personne pour écrire leurs chroniques. Je me souviens de mains serrées trop fort dans des serments éthyliques. De regards qui tentaient de franchir les barrières, de passer le quai. Fraternités profondes et factices. Bistros blafards et cafés obscurs. Communion fausse de l’ivresse. En lisant le livre de Koltès, m’est revenu tout ça. D’un coup. D’un bloc. J’ai eu le sentiment d’un geste de la main, un sourire pâle qui m’était fait au travers d’une brume, des visages effacés resurgir dans le clignotement de feux nocturnes, à un carrefour désert, attendant je ne sais quoi, je ne sais qui.


Car le poème de Koltès n’est pas un hommage à ceux qui sont restés sur ce carrefour. On rend hommage aux morts, pas aux vivants. C’est un témoignage. Un signal qui clignote. Koltès est un auteur contemporain. Certes le texte fut écrit en 1977. Mais il semble que le contemporain ne soit pas une date, plutôt une substance. Une sensibilité particulière à la lumière du monde. Qu’hier, aujourd’hui, demain, c’est la même chose, vue d’un certain point. Celui de cet auteur.


Que si l’histoire est toujours la même, et qu’elle est injuste, il faut la redire, toujours.

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