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La Nuit des feux

+ d'infos sur le texte de Eugène Durif
mise en scène Karelle Prugnaud

: Karelle Prugnaud… « Pour un théâtre radical »

« Quand j’étais enfant, j’habitais dans un petit village, coupé de tout. Des champs, tout autour, à perte de vue. Pas de forêt où se promener et se perdre. Je restais seule dans ma chambre. Je passais mon temps à fabriquer des objets à partir d’éléments que je récupérais ça et là, à découper des photos dans des magazines dont je faisais des collages, à lire. À rêver surtout. Les seules sorties dont je me souviens : des musées où je suis allée avec mon père qui est passionné de peinture. Ce qui m’intéresse avant tout, dans ce que j’ai pu tenter, jusqu’à maintenant, c’est ce goût du bricolage venu de l’enfance. Créer des installations plastiques et voir ce que cela fait naître quand on y met du vivant, de l’humain, l’archaïque d’un corps qui se débat avec des mots, qui tente dans toute sa fragilité d’exister un instant, comme un papillon se débat à la lumière. Du vivant contraint et qui bouge encore... Comment se meut l’individu dans un espace artificiel : créer de l’ordre à partir du chaos et du chaos à partir de l’ordre. La première fois que je suis allée au théâtre, j’avais quinze ans, et c’était avec le lycée. J’ai rencontré Nicolas Peskine, que j’ai suivi dans son théâtre mobile : j’aimais beaucoup cette boîte magique que l’on habite, que l’on fait vivre. Tout ce qui peut arriver, tout ce qui peut surgir... Ensuite, en allant davantage au théâtre, j’étais souvent déçue par rapport à ce que j’attendais. Le rêve du départ était plus fort.


J’ai ensuite fait du théâtre de rue, comme acrobate et danseuse, ce qui me plaisait c’était l’idée d’investir des lieux, une rue, un quartier, d’organiser l’anarchie dans la ville, de détourner le quotidien... Là aussi, j’ai été un peu déçue : il me manquait un rapport au texte... J’ai voulu faire une formation de comédienne avec le « compagnonnage », initié par un collectif de metteurs en scène à Lyon. Apprendre « sur le terrain », sans être dans une école... Avec de multiples intervenants, comme Alexandre del Perrugia dont la rencontre a été déterminante : la découverte du travail artistique comme une voie à tracer soi-même, et non pas un chemin balisé. Construire à partir du rien, à partir de la nécessité de ce qui surgit, et tout remettre en cause dans une exigence de tous les instants. Il m’a proposé de venir travailler pendant l’été, dans son lieu à Pontempeyrat. Comme je n’avais pas d’argent, j’ai été femme de ménage pendant quinze jours là-bas, en échange d’un stage. J’ai commencé à faire une performance dans les toilettes avec des élèves de différentes écoles, à partir des Sonnets de Shakespeare et de vidéos. L’idée était de faire avec ce qui était là, ce qu’on avait sous la main. Cette petite forme a été le détonateur de mon désir de faire de la mise en scène. À la fin du compagnonnage, aux Subsistances, à Lyon, j’ai réalisé deux spectacles autour de la pornographie et des clichés érotiques avec des comédiennes transformées en femmes-truies, des photos et vidéo projections, des rats de laboratoire courant au-dessus de la tête des spectateurs. A l’Élysée, à Lyon, on m’a proposé de monter un projet. Cela a été un déambulatoire autour de l’univers de Jan Fabre, une visite guidée qui renvoyait à la surabondance et à l’anéantissement des images. Pour la première fois, récemment, j’ai fait un spectacle dans un rapport frontal : cette fois, sans moi, de et avec Eugène Durif. C’était vraiment nouveau : la confrontation avec le texte de cet auteur, que je voulais faire entendre, dans son rythme, sa musique, sa présence, perdu dans une installation plastique et vidéo. Le théâtre dont je rêve, c’est celui qui est à venir, qui est en attente. Je voudrais faire un théâtre plus radical, dans une double approche du texte et des corps des acteurs, du mélange des formes et des genres. Par exemple, dans un projet « Bloody girl-poupée charogne » que je poursuis avec Eugène Durif autour du tragique archaïque et contemporain, avec des étapes qui tiendraient de la performance, du mixage vidéo en direct, de musiques traditionnelles détournées qui rencontrent la musique électronique et des chansonnettes de latin lover. Ces éléments techniques deviendraient le moteur même du jeu : l’actrice serait pilotée, dirigée par le choeur de ceux qui sont en train de le faire et par l’auteur, présent sur scène.


Je suis née dans un monde qui communique essentiellement par images (des écrans plasma, des cellules informatiques, des corps et voix virtuelles). Au théâtre, il y a quelqu’un qui nous parle, que l’on voit et que l’on peut presque toucher, un corps qui se risque là devant nous... Comment peuvent se confronter ces deux mondes antinomiques, comment mettre en jeu la chair et le virtuel et observer leurs réactions, leurs transformations ? Mon rêve de théâtre serait de voir un coeur qui bat, un corps qui sue, des mains qui tremblent, des culottes qui se mouillent, des cerveaux qui travaillent, des poumons qui crachent, des regards qui violent, des oreilles qui jouissent... Créer l’anarchie, l’organiser, l’enrubanner et l’offrir à qui veut. »


Karelle Prugnaud propos recueillis par Jean-Pierre Han in « L’Humanité » - juillet 2005

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