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La Nuit de Valognes

mise en scène Régis Santon

: Commentaire de l’auteur sur la pièce

« Ma première pièce...
Il y a toujours quelque chose de miraculeux dans une première fois. La première fois nous révèle à nous-même, sonne l'adieu aux désirs vague, ouvre l'avenir. Réussie, elle trace même un destin.
Vers 28 ans, ayant vécu mon éducation sentimentale et philosophique, je commençais à découvrir – ou à subir- ce que j'avais à dire, quels étaient mes obsessions, quelle ligne fragile - la ligne du doute - allait devenir la mienne.


La Nuit de Valognes propose ma vision de Don Juan. Don Juan est un être en perpétuel mouvement qui voudrait être arrêté. S'il se préoccupait de son plaisir, il pourrait éprouver de la jouissance ; il pourrait ralentir le temps et l'élargir aux dimensions de l'extase voluptueuse. Mais, raisonnant comme un soldat, conquérant et seulement conquérant, il n'éprouve rien d'orgasmique dans l'orgasme, juste la délivrance d'une tension, la fin d'une gêne. Son désir mort, il attend qu'en naisse un autre, qu'il réalisera aussi en le faisant mourir. La vie de Don Juan s'est concentrée sur le sexe sans qu'il ait rien compris au sexe. Il ne voit dans le sexe que la réalisation égocentrée de sa pulsion, sans soupçonner les portes qui s'ouvrent alors, le plaisir, la volupté partagée, la relation à l'autre, l'horizon des sentiments…
Don Juan, certes toujours mobile, tourne en rond. A l'écoute de ses seules pulsions, il est condamné à de perpétuelles exténuations. Sa vie d'aventures est devenue bègue et ennuyeuse. Je me suis amusé à la contrarier fortement.
Dans les versions des XVIIe et XVIIIe siècles, il est puni par le Commandeur, une statue qui figure le divin. Plutôt qu'un Dieu de colère et de vengeance sorti de l'Ancien Testament, je dessine un Fils aimant, trop aimant, une figure à la fois christique et perverse.
Voici la vraie punition de Don Juan : éprouver de l'amour pour un homme, lui qui le cherchait -si mal- sous le jupon des femmes. Est-ce que cet amour surprenant révèle une homosexualité inavouée ?


Certains psychologues ont avancé cette thèse que le donjuanisme, la multiplication des femmes toujours désirée et toujours insatisfaisante, pouvait cacher virilement une homosexualité, révélant un culte ambigu de l'homme. Je leur laisse la responsabilité de cette explication car ce n'est pas, ultimement, ce qui m'intéresse ici. Pour moi, il s'agit surtout de distinguer le sexe de l'amour.
L'amour n'a pas de sexe ; il peut se découvrir ou s'épanouir dans la sexualité mais il peut aussi bien s'en passer. L'attachement à l'autre, la fascination renouvelée pour le mystère de l'autre, la dévotion qu'on peut lui porter, tout cela n'a pas grand chose à voir avec les frottements de peau, aussi agréables soient-ils. En cela dans La Nuit de Valognes, j'exposais les thèmes que je repris dans les Variations Enigmatiques.
L’amour comme attachement mystérieux à un mystère.


La Nuit de Valognes, grâce à Jean-Luc Tardieu, fut créée en 1991. J'étais émerveillé. Un enfant devant un sapin de Noël. Avec elle, je connus ma première « première ».
Puis, 100 représentations plus tard, ma première « dernière ». Cela me serra tellement le coeur que, depuis, j'ai toujours refusé de revoir le spectacle. Pourtant la pièce est continuellement représentée par des compagnies professionnelles et par des troupes d'amateurs.
Invité mille fois - et avec quelle gentillesse -, j'ai toujours décliné. Dix ans après, une représentation hommage m'a obligé à revoir La Nuit de Valognes. Surpris, j'en ai découvert les qualités, et aussi les légers défauts. Un instant, j'ai songé les corriger. Puis je me suis rappelé le jeune homme de 29 ans que j'étais alors et qui avait écrit ce texte : il n'aurait sûrement pas supporté qu'un auteur arrivé de 40 ans lui corrige sa pièce. Par respect pour ce jeune homme, je me suis abstenu.
Cependant, à l’occasion d’un déménagement, je suis tombé sur le manuscrit original de la pièce. En le feuilletant, je me suis rendu compte qu’à la création on m’avait fait changer le troisième acte. Sous prétexte que c’était ma première pièce, tout le monde était entré dans mon moulin : mon agent, mon metteur en scène, mes acteurs, mes producteurs. Terrorisé, j’avais cédé. Or, en relisant l’original, je découvrais que, malgré tout, mon instinct valait quand même mieux que leurs craintes. J’ai donc rétabli, pour la recréation de La Nuit de Valognes au Théâtre Royal du Parc, en novembre 2005, le trajet initial, tout en profitant de mon expérience pour toiletter le texte. Si un acteur n’a jamais fini de s’améliorer en jouant, il en est de même pour l’auteur. On peut toujours faire mieux, indéfiniment. Mais il n’en demeure pas moins que c’est le premier geste qui compte… »

Eric-Emmanuel Schmitt

16 novembre 2005

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