: Rois et reines
Dans Pompée (1643), sa première pièce romaine qui se déroule hors de Rome, Corneille rompt avec l’idéal héroïque et affronte, avec un réalisme qui ne se démentira plus, l’extrême ambivalence de la politique, le mélange des causes personnelles et du bien commun, la perte inexorable des valeurs. On y voit César asseoir son pouvoir personnel en Égypte après le meurtre de Pompée tué par les Égyptiens, filer un imparfait amour avec la jeune Cléopâtre et remettre les assassins à leur place : « Vous qui devez respect au moindre des Romains », avant de les liquider.
Dans Sophonisbe (1663), se mêlent des haines politiques
féroces (entre Carthage et Rome) à une atmosphère
érotique très intense… La figure de
Sophonisbe est admirable de grâce et de violence, de
courage et de folie.
Princesse carthaginoise, fille du général Asdrubal,
fiancée à Massinisse, jeune roi de Numidie orientale,
elle a dû épouser Syphax, le vieux roi de Numidie
occidentale et sacrifier son amour de jeunesse à sa
patrie. Ce sacrifice a été pour elle un arrachement et
déterminera tout son comportement durant la pièce.
Malgré son dévouement à Carthage, la jalousie,
funeste passion, prendra le pas sur toute autre considération
et conduira la jeune femme au suicide.
Après Carthage, Rome conquérante impose son
empire sur toute l’Afrique du Nord.
Résistance et collaboration, révolte et soumission,
répugnance et fascination s’entremêlent inextricablement
dans les intrigues politiques de ces deux
pièces. L’intérêt des situations est redoublé par le
fait que, souvent, les opprimés se révèlent odieux et
les oppresseurs plutôt généreux ! Le désir insatisfait
et la guerre constituent le fond commun de Pompée
et de Sophonisbe.
À la lumière de l’actualité, printemps arabes, guerres en Afrique, affrontements des puissances occidentales et du Moyen-Orient, cette profonde réflexion sur l’histoire coloniale, éclaire singulièrement notre propre condition. Comme Shakespeare, Corneille a osé mélanger les deux registres de la comédie et de la tragédie, ce qu’on lui a reproché longtemps. Son « impureté » fait aujourd’hui sa modernité, car nous vivons des temps impurs.
Brigitte Jaques-Wajeman
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