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La Force de tuer

+ d'infos sur le texte de Lars Norén traduit par Amélie Berg
mise en scène Philippe Lüscher

: Entretien avec Jean-Pierre Malo

réalisé par Joël Aguet, septembre 2012

Jean-Pierre Malo, vous jouez le Père dans La Force de tuer de Lars Norén, avec en face de vous un Fils qui semble vous en vouloir beaucoup : pourquoi ?


Le Père n’est peut-être pas aussi net et “respectable” qu’il le dit... Les rapports de force entre père et fils sont terribles ; le fils parle peu, on sent qu’il occulte beaucoup de choses… certaines apparaissent sur un mot, une attitude, surgies de l’inconscient, comme le fait toujours Lars Norén. Et ils vont en arriver au point où la situation ne semble pas pouvoir se résoudre autrement que par un crime, qui est aussi une sorte de suicide.


Ce doit être délicat à interpréter ?


Il faut être dedans, vraiment. C’est la deuxième fois que je joue une pièce de Lars Norén, après Démons que dirigeait Gérard Desarthe à Vidy : là déjà, on a pu se rendre compte que c’était un auteur extrêmement exigeant, qui laisse souvent plusieurs interprétations ouvertes ; c’est très astreignant, on est toujours en tension. On ne peut pas faire d’économie de jeu et en l’occurrence, sur ce rôle, j’ai un investissement personnel que je n’avais pas prévu. Cela me concerne de très près et je ne veux pas parler d’“identification” non plus, mais je n’ai pas le choix, en tout cas pas celui d’économiser une seconde d’implication dans le jeu.


Les répliques sont intelligentes et le spectateur progresse par petites touches de compréhension successives, mais c’est aussi terriblement animal, n’est-ce pas ?


Exactement, et dès le départ le rapport père - fils est d’une force incroyable : on n’attend pas des pages que ça se développe, le conflit est installé tout de suite.


La situation fait penser aux vieux éléphants, que les jeunes doivent pousser dehors; mais les animaux sont plus humains, ils ne se tuent pas entre eux ?


Pour le coup, ce qui est extrêmement humain, extrêmement cruel, c’est que le père ne cache rien de la vérité sur son état : il dit que son corps ne suit plus, qu’il est fatigué et qu’il n’est probablement plus assez appétissant pour séduire, qu’il faudrait donc qu’il paye, mais qu’il n’a pas d’argent. Il dit tout, il ne joue pas au “vieux beau” ; et malgré ses handicaps reconnus, il va essayer de séduire…


Il ne peut pas s’en empêcher ?


Non !..Ce qui ne rend pas le rapport avec son fils plus facile. Il essaie sans doute de découvrir qui est ce fils aux réactions si éloignées des siennes…


Tous ces personnages sont tous le temps dans le mensonge ?


Dans le déni, plutôt. Et le fils est « spécial ». Dans son comportement, il n’est pas loin de la schizophrénie. Apparemment, il n’a pas de sexualité ; le Père s’en étonne, d’ailleurs. Le Fils dit ne rien se rappeler de son enfance, ou seulement de choses désagréables. Il demande à son père : «est-ce que vous m’aimiez quand j’étais petit ?» et le Père répond «bien sûr qu’on t’aimait.»


Dans son rôle, le Père apparaît souvent haïssable : est-ce qu’il y a du plaisir à se faire détester ?... Parce qu’ensuite on peut séduire à nouveau ?


Oui, peut-être… Il y a un vrai combat, dans les attitudes et dans les mots : le Père est souvent surpris de la trivialité du Fils, et ce sont des moments que Norén rend pétrifiants…


Ce qui signale que le fils vient de marquer un point…


Dans le 2e acte, l’amie du fils est présente et, comme le spectateur au début, elle donne d’abord raison au Père, qui a l’air doux, amusant : «Il est plus jeune que toi, ton père» dit-elle.


Elle peut être séduite par le Père ?


Oui, à un moment donné, elle est dans un rapport de “femelle” avec le Père, elle n’est pas simplement la copine frustrée du Fils. L’espace de quelques instants, elle se laisse toucher, séduire. Elle va au plaisir. Si on imagine qu’elle se “laisse faire” par pitié pour un “vieux”, c’est moche.


Entre le Père et Fils c’est une sorte de partie d’échec ?


En tous cas la notion de danger est tout le temps présente ; lorsque le fils part se coucher en laissant son amie en compagnie de son père, il leur demande ce qu’ils comptent faire…


Comment l’équipe aborde ce texte ?


Je ne peux avoir qu’un discours laudatif sur Philippe Lüscher. Je ne le connaissais pas et je rencontre un metteur en scène formidable, à la fois gentil et concret, d’une vraie culture, solide. Et je découvre un bon directeur d’acteur, qui travaille à la subtilité psychologique près : c’est très rassurant. En plus, mes partenaires sont adorables et talentueux. Norén est très difficile, on le sait, ça demande un jeu toujours sur le fil du rasoir et donc une vigilance constante, un exercice périlleux mais qui mène loin. On ne peut pas se contenter d’être moyen avec une écriture comme celle-là. Sinon ça ne passe pas.


Donc un “Retour” en Suisse romande sans soucis…


Là on parle d’un temps “que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître”…
Je suis venu au Théâtre de Carouge en 1976, dans la troupe qui se formait autour de François Rochaix et j’y suis resté jusqu’en 1979. Ensuite je suis devenu indépendant, j’ai pu tourner au cinéma et à la télévision en France et jouer au théâtre en Suisse romande, au Centre Dramatique de Lausanne surtout et à la Comédie de Genève. Puis, en 1987, Robert Hossein m’a demandé de venir jouer à Paris. Après avoir travaillé avec lui, ce sont les portes des théâtres privés qui se sont ouvertes – sans que celles des institutions ne se referment. Et comme on me proposait en France des temps de représentations et des tournées de six, neuf, dix mois, je ne suis plus revenu en Suisse romande, si ce n’est pour deux spectacles réalisés par Gérard Desarthe à Vidy.


Que retenir ensuite de marquant ?


Dans l’institution par exemple, une très forte expérience sur Woyzeck mis en scène par André Engel … Dans le privé, entre autres, j’ai travaillé plusieurs fois avec Michel Fagadau qui dirige la Comédie des Champs-Elysées, et aussi au Théâtre Montparnasse et des tournées en France… Dans le privé, on joue plus longtemps. Enfin… si ça marche. Je suis très heureux de venir à Genève au Poche. J’ai accepté la proposition de Françoise Courvoisier, parce que La Force de tuer est une pièce solide, belle, émouvante et dure. Ensuite, j’irai au Théâtre du Rond-Point, chez Jean-Michel Ribes pour une création de Peter Handke…

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