: Entretien avec Michel Favory et Louis Arene
Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française
Michel Favory
La Fleur à la bouche est une pièce que je souhaitais jouer depuis longtemps. Elle est tirée d’une
nouvelle, La Mort à la bouche, l’une de celles, admirables, qui composent les Nouvelles pour une année, ouvrage inachevé de Luigi Pirandello. Dans le temps d’une récente relecture, je découvris
la belle traduction – par Jean-Paul Manganaro – du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa Le Guépard, et il m'est apparu que les deux textes pouvaient être mis en correspondance et
composer ainsi un spectacle adapté au format d'une heure du Studio-Théâtre. Pirandello, Tomasi
di Lampedusa, tous deux siciliens, presque contemporains.
La Fleur à la bouche : Un homme se trouve à la terrasse d’un petit café sordide, la nuit. Arrive un
autre client, inconnu de lui... La conversation s’engage. L’Homme à la fleur tente de faire deviner
et comprendre la nature de son drame personnel : sa mort plus ou moins proche.
Le Guépard : Le prince de Salina assiste à la lente décomposition puis à la disparition de sa
société. Une certaine Sicile meurt qui donnera naissance à une autre ; dans le même temps le
Prince s’éteindra.
Chez l'Homme à la fleur, la conscience de sa disparition suscite un désir violent, effréné de sentir
la vie autour de lui, par l’imagination. Le moindre geste, le moindre événement prennent à ses
yeux une importance d’autant plus considérable que son temps est compté.
Louis Arene
De la mise mise en parallèle des deux textes se dégage une réflexion poétique sur la mort, bien
sûr, mais surtout sur la vie. Bien que La Fleur à la bouche nous parle du désespoir et de la colère
face à l’absurdité de l’existence, il s’en dégage une beauté étrange, un ton amusé caractéristique
de toute l’oeuvre de Pirandello. Chez Lampedusa, la contemplation du déclin de son monde et de
son corps offre au Prince de Salina un calme serein et « la preuve, la condition pour ainsi dire, de
la sensation de vie... ».
À l’approche de la fin, l'Homme à la fleur et le Prince sont animés par des démarches spirituelles
qui leur sont propres. Elles s’additionnent, se complètent, se contredisent, mais leur
rapprochement nous offre au final une méditation pénétrante sur l’existence, le rapport à l’autre,
l’Imagination, la relativité de toute chose, la quête de l’instant présent, la mort et ses
manifestations.
Michel Favory
« En Sicile, la Vie, l’Amour, la Mort ont même signification. » De retour du bal, le prince de
Salina s'adresse à Vénus, son étoile, mêlant intimement Amour et Mort. Le roman s’achève sur
l’image d’une femme, belle, qui s'approche de lui, moribond, elle soulève sa voilette et semble lui
dire : « c'est le moment ». Dans La Fleur à la bouche, c’est une femme, vêtue de noir, silhouette,
fantôme, on ne sait trop...
Louis Arene
Dans une tentative désespérée d’échapper à cette mort, l’Homme à la fleur se projette par
l’imagination en dehors de son corps, il cherche à se dissoudre dans les objets qui l’entourent car
contrairement à lui-même, ils sont constants, stables, rassurants. Il tend à remplir la béance
entre lui et le reste du monde, démarche sublime et fondatrice de toute forme d’art. Par
conséquent naît un besoin farouche de dire, d’être entendu mais aussi cette si mystérieuse poétique du Silence qui crée son propre langage... Et bien sûr il y a l’humour de Pirandello qui
nourrit tout cela.
Michel Favory
Ce regard acide, amusé et bienveillant qu’il porte sur ces contemporains et sur son écriture révèle
peut-être cette dimension très subtile et mystérieuse que l’on nomme l’Humorisme.
Louis Arene
Pirandello se plaît à nous décrire le moment où l’humanité des personnages entre en conflit avec
leur animalité et le visage individuel avec l’image sociale de ce visage. Cela a donc à voir avec la
dissociation des sentiments et la dissociation de la personnalité, thèmes récurrents chez
Pirandello. Sous chaque sentiment il y a la présence de son contraire, derrière chaque masque,
une multitude de visages. C’est l'endroit où le théâtre se joue et d’où naît ce rire étrange...
Michel Favory
… qu’on voudrait retenir mais qui échappe...
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