Pour René Loyon l’univers de La Fille aux rubans bleus fut immédiatement familier. Marqué profondément par l’histoire coloniale, les souvenirs de son grand-père qui a travaillé dans les colonies françaises en Afrique, dont il a porté sur scène le Journal intime, René Loyon a revisité cet univers en montant Combat de nègre et de chiens de Koltès.
« La pièce d’Yedwart Ingey m’a touché à la fois par son écriture qui détourne le romantisme de son modèle littéraire du XVIIe siècle vers une langue brutale et poétique, rapide, allant droit au but, en adéquation totale avec l’univers de la pièce – la violence, les passions extrêmes, l’urgence de vivre face à la mort omniprésente – et par sa façon de conjuguer la part biographique, l’histoire et la fiction pour aborder, à travers une histoire sentimentale, la problématique de la France coloniale. Il y pose des questions essentielles sur la difficulté de renoncer aux privilèges coloniaux, sur le rapport aux colonisés et sur les dommages qu’on y subit soi-même : qu’est-ce qui déclenche cette haine, cette violence, cette barbarie chez des gens a priori tout à fait normaux, comme nous ? »
De par sa structure – mélange de récit, de dialogues, de lettres échangées, de plans temporels –, son style elliptique, ses ambiguïtés recelant une pluralité de lectures, La Fille aux rubans bleus est un défi pour le metteur en scène mais aussi pour les acteurs. René Loyon trace une géographie imaginaire du monde colonial dans un espace dépouillé qui, par les changements des axes et des éclairages, se transforme constamment comme la mémoire ou le rêve. Une boîte de théâtre mental où, comme d’une boîte de Pandore, surgissent les souvenirs, les images, les personnages réels ? Imaginés ? Rêvés ? Tels des pièces éparses d’un puzzle que Pierre le fils tente de rassembler.

Irène Sadowska Guillon