theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Distance qui nous sépare du prochain poème »

La Distance qui nous sépare du prochain poème

+ d'infos sur le texte de Jean Cagnard

: Un très vieil os

La poésie nous concerne tous

Ce n’est pas tant une affaire de mots ou de littérature, c’est une rythmique humaine au même titre que les fonctions vitales et lorsqu’elle apparaît, sous une forme ou sous une autre, on ne connaît pas grand monde qui n’y soit pas sensible. Elle ne fait pas appel aux connaissances, au savoir, à la culture, à l’intelligence, elle cueille les gens à leur endroit primitif, transversalement, et va rejoindre cette époque lointaine où ils n’étaient, avant même d’élaborer de la chair, qu’une poignée de sens répandus dans la terre. Au moins elle ne devrait être que cela : un très vieil os produisant sans cesse de la jeunesse.
C’est une manière de voir le monde souvent cachée par la manière d’être dans le monde, une sorte d’énergie fossile qui vient alimenter notre besoin de rêver depuis le début des temps ; contrairement à celle que nous brûlons joyeusement et éperdument pour faire avancer notre époque, parfaitement écologique et infinie. Ce que nous vivons est aidé en permanence par la discrète présence d’une floraison. Le monde défini a créé un prolongement en lui-même et qui s’appelle le rêve et sans lequel la moindre seconde n’aurait pas une chance de paraître belle. La moindre seconde est soutenue par son rêve. L’homme n’est tout à fait lui-même, entier, que dans les bras de son invisible jumelle, la poésie.


Contrairement au futur, qui est devant nous, et au passé qui est derrière nous, la poésie nous parvient en général latéralement, sur le flanc, inscrite dans le temps mais positionnée de façon à s’affranchir du vieillissement. Elle passe ainsi derrière les soldats de l’intelligence pour atteindre notre partie sensible et relâchée. Alors il n’est pas sot de penser que ce qui nous en sépare en général est un obstacle de même nature, latéral, traversant le chemin de droite à gauche, comme un fleuve par exemple. Oui, c’est toujours un fleuve qui nous sépare du poème, quoi qu’on puisse dire ou penser, et nous sommes soudain face à l’art très délicat du franchissement.


Tout le long de son existence, on le sait, l’homme se déplace de poème en poème. A peine en a-t-il quitté un qu’il cherche à rejoindre le prochain car l’état transitoire n’est acceptable que dans cette recherche. La vie est dans le poème, c’est-à-dire dans cet état particulier où l’individu se sent au mieux de lui-même, au plus profond, capable même de bonheur. Mais parce que la planète tourne, rien n’est acquis définitivement et cet état n’a pas la particularité de durer. Comme il nous a absorbés, le poème nous régurgite, nous écarte de sa protection pour nous convier à avancer jusqu’au prochain.
Il y a donc un chemin à faire, comme un collier se construit en accumulant des perles. Au bout du compte, c’est peut-être l’enroulement du chemin sous les semelles qui crée le poème. Va savoir. C’est un endroit qui existe parce qu’on a avancé, une sorte de matière inoubliable, aussi géniale que l’alcool ou le miel, parce que sans s’en rendre compte on a fini par marcher sur la bouche, au plus près des frottements.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.