theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Disparition du paysage »

La Disparition du paysage

mise en scène Aurélien Bory

: Note du metteur en scène

« Une des premières choses que Denis Podalydès m’ait écrite à propos de La disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint fût une question : s’agit-il de l’intrusion soudaine, violente du réel, dans ce qu’il y a le plus profond en l’homme, sa pensée, son imaginaire, c’est-à-dire sa capacité à fabriquer des représentations ?


Au moment où sous la déflagration, tout se fige, ce n’est pas la dernière image vue du réel qui s’impose mais les pensées qui se fixent là où probablement vagabondait à cet instant son esprit. « Le dernier instant visible de ma vie » du narrateur ne vient pas dans le texte de Toussaint de l’extérieur mais de l’intérieur. Une pensée s’est figée à la manière d’une photographie, où le temps est suspendu, et où l’instant à peine saisi est déjà passé, déjà mort. Dans La disparition du paysage, l’imaginaire se ferme comme l’obturateur d’un appareil photo, ou le cache devant l’objectif. J’ai pensé que la boite crânienne se confondait aussi avec le boitier d’un appareil photo.


En écoutant Denis me lire les premières pages et en me représentant ce texte porté au plateau, j’ai eu recours immédiatement à la photographie car il est question de l’instant décisif, où le réel, extérieur, balaie à la vitesse de la lumière, l’intérieur. Cela ne m’a d’ailleurs pas vraiment étonné que la seule image que Jean-Philippe Toussaint ait envoyé à Denis Podalydès avec son texte fut une photographie, celle de sa fenêtre à Ostende, dont il précise les dimensions, 3 par 5 mètres – informations utile pour le scénographe.
J’imagine derrière cette fenêtre décrite précisément par Toussaint, le déroulement horizontal d’une photo qui ne cesserait de se transformer. Un paysage qui rappellerait le défilement si souvent évoqué par ceux qui vivent une « near death experience ». Une grande toile imprimée qui se déroulerait, littéralement grâce à deux rouleaux verticaux (rappelant les machines de Wagner déroulant une toile peinte). Les photographies en format paysage défileraient tel un long travelling, sur rail – n’était-il pas dans un métro au moment de l’explosion – et verraient alors la plage d’Ostende se transformer en ville de Tokyo puis en Café Métropole de Bruxelles, puis en mur qui s’érige peu à peu.


Mais avec ce dispositif il ne s’agit pas seulement d’un paysage mais de sa disparition. Le spectacle durera le temps du défilement, qui dépend de la longueur de la toile où est imprimée le paysage et de la vitesse de défilement. Ce dispositif de déroulement est condamné à s’interrompre. Il compte le temps. La disparition du paysage commence dans le texte avec un brouillard. Brouillard : phénomène atmosphérique provoquant une diffusion intense de lumière mais aussi confusion dans la prise de conscience ou le souvenir (Alain Rey, Dictionnaire historique).


Enfermer alors ces photographies, ce dispositif, dans un brouillard. Ajouter par ce brouillard des images à l’image. Faire de ce brouillard celui de l’explosion mais aussi celui de l’engourdissement de l’esprit. Un brouillard rend floue toute représentation. A la précision de l’observation succède une pensée brouillée. La mort est ici d’abord la mort de l’imaginaire, l’extinction progressive non pas du réel mais de la dernière représentation.


A la physique du réel, que je m’attache toujours à rendre visible sur le plateau, se substitue grâce au texte de Toussaint la physique de l’imaginaire. Ainsi dans une approche assez littérale du titre, dont je tire toujours mon inspiration première, j’aimerais dérouler sur le plateau un paysage, et littéralement le faire disparaître. Chercher en même temps l’éphémère et l’éternel. N’est-ce pas au théâtre le dessein de toute tentative ? »

Aurélien Bory

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.