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La Campagne

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Philippe Djian
mise en scène Philippe Lüscher

: Un théâtre de la menace

Entretien avec Philippe Lüscher réalisé par Katia Gandolfi

Une lande anglaise. Un couple. Une jeune femme. Un adultère ? Des questions, des doutes, des mystères. La Campagne de Martin Crimp, ressemble étrangement à une intrigue policière, mais elle évoque également un passé lointain, un retour aux origines auxquels les personnages aspirent.

Comment avez-vous abordé l’univers de Crimp ?


J’ai découvert le théâtre de Martin Crimp à l’époque où je dirigeais le Grütli, au début des années 2000. Je suis interpellé par ses thématiques récurrentes, à savoir, l'individu rattrapé par son passé, condamné au mensonge, au doute, à son incapacité à communiquer. Et également le douloureux rapport de l'homme face à la nature. J’ai abordé cette pièce un peu comme un détective chargé d’élucider une affaire compliquée. Ce travail d’enquêteur s’est avéré passionnant et vous sollicite comme si vous montiez une pièce de Shakespeare. En effet, tant que vous n’avez pas résolu certaines intrigues, votre travail de metteur en scène se résume à celui d’un guide qui serait sourd, muet et aveugle.


Voyez-vous des similitudes avec l’univers d’Harold Pinter, auteur dont vous avez notamment monté Le Retour ?


Oui, les similitudes sont nombreuses. Par exemple, Martin Crimp situe sa pièce dans le pays où il vit. Il exerce son observation sur des gens qui l’entourent, Harold Pinter en faisait de même. Comme Pinter, l’auteur de La Campagne construit sa fable sur une situation absolument plausible, mais très vite on s’aperçoit que les codes entre les personnages diffèrent des nôtres. Cela nous intrigue et nous malmène. On peut parler d’un théâtre de la menace où chaque personnage impose ses règles pour le pire. Comme Pinter, Crimp porte un regard sur une société qui a un mal fou à regarder vers l’avant, à mettre du sens dans sa courte existence. Ses personnages recherchent leur identité; ils sont comme coupés de leur origine. En citant Virgile, certains personnages évoquent un lointain passé qui ne peut réellement transformer leur présent, saturés qu’ils sont par leur propre hypocrisie.


La Campagne , comme successivement La Ville , propose un huit clos où un couple, apparemment sans histoires, voit son équilibre soudain basculer par l’intrusion d’un troisième personnage. En quoi ce triangle amoureux, en apparence banal, est particulier ?


Parce que Crimp déjoue rapidement le schéma classique de l’adultère. Richard, le mari, médecin généraliste de campagne, vit une relation qu’il a en quelque sorte imposée à une jeune patiente. Dès le début, Martin Crimp malmène ce schéma en créant un doute : en amenant chez lui cette jeune femme inconsciente, Richard veut-il la sauver ou veut-il l’imposer à sa femme pour briser leur union ?


La Campagne , un titre qui évoque la liberté, l’authenticité, la tranquillité, les racines et pourtant…


Oui, et pourtant la campagne n’apporte aucune liberté au jeune couple. Ce n’est pas en déménageant de la ville à la campagne que l’on résout ses problèmes. La campagne dans cette pièce se montre attirante par les mystères qui l’habitent, mais également dangereuse, et définitivement souillée par l’âme humaine.
Ainsi, Corinne, la femme de Richard, vit un court instant de bonheur dans la lande, avant même qu’une grosse pierre ne la dévore, comme si la nature se défendait des hommes et pouvait lui être hostile et menaçante.


Crimp a dit dans une interview qu’il voulait laisser un espace aux metteurs en scène en écrivant des textes "ouverts", percevez-vous cette ouverture et si oui de quelle manière?


Oui et non. Je dirais que la structure de la pièce est exigeante et sollicite une attention permanente du spectateur. Dès lors, mon travail est de suivre le plus concrètement possible son déroulement. Quant aux situations et aux dialogues, en effet, ils permettent plusieurs pistes d’interprétation. On se doit de créer un sous texte si on veut donner à son personnage toute son épaisseur. En cela, cette écriture permet de grandes libertés.


Comment dirigez-vous les comédiens face aux difficultés du texte et en particulier face aux enchevêtrements de certaines répliques signalées par l’auteur ?


La direction de jeu est bien sûr un des éléments fort qui compose la mise en scène. Sur ce texte, il est capital de nourrir chaque comédien par une analyse de chaque situation, de chaque intention et événement. Les chevauchements de dialogues sont conçus par l’auteur pour montrer la difficulté des personnages à s’écouter, à respecter le code du dialogue, à établir une forme de lutte de pouvoir par la parole. C’est comme si un boxeur frappait son adversaire au dessous de la ceinture.


Le fait que vous écriviez vous-même influence-t-il votre manière de mettre en scène ?


Sans doute, il y a un peu de ça. J’essaie d’analyser ce que l’auteur a voulu signifier dans chaque mot, un peu comme je m’emploie à le faire en écrivant une pièce. Je me dis : « Pourquoi a-t-il imaginé cela ? Pourquoi fait-il dire cela à son personnage ? À sa place, l’aurais-je formulé ainsi ? ». Cela me donne peut-être une plus grande écoute vis-à-vis de l’auteur, un regard plus aigu.

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