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L'Origine rouge

+ d'infos sur le texte de Valère Novarina
mise en scène Valère Novarina

: Entretien avec André Marcon et Daniel Znyk : André Marcon / Daniel Znyk

Ces textes sont à paraître en octobre dans la revue Mouvement que nous remercions.



André Marcon


Bruno Tackels : On peut dire que vous êtes l'acteur qui a accouché Novarina. Comment parler de ce trajet d'acteur, qui s'est peu à peu creusé avec cette langue?


André Marcon : dès le départ, cette rencontre a été un choc, un éblouissement immédiat. Et cet éblouissement demeure. J'ai toujours la même impression de familiarité avec cette langue, à l'intérieur de l'étrangeté qu'elle provoque. Il y a sous cette langue une corde sensible qui vibre et qui me fait vibrer à mon tour.


Bruno Tackels : Cette expérience initiale s'est approfondie au fil des années. Est-ce qu'il y a eu pour autant une évolution dans ce travail d'exploration?


André Marcon : Avec Novarina, j'ai surtout fait des choses en solitaire. Grâce à l'Operette imaginaire, il s'est fondée une sorte de compagnie, avec un noyau dur d'acteurs auquel se sont ajoutés Agnès Sourdillon, Dominique Pinon et moi-même. Pour autant je ne crois pas que la langue ait fondamentalement changé. C'est un peu comme un musicien dont on reconnait tout de suite la musique.


Bruno Tackels : Est-ce que cette rencontre avec une troupe d'acteurs altère ou transforme votre manière de jouer Novarina?


André Marcon : Tout en étant un groupe, il y a quand même un cœur, une parole unique. C'est un peu comme chez Claudel, où il règne toujours un "je" central qui excède les acteurs singuliers. Il y a un foyer premier, l'écriture, autour de laquelle les acteurs sont rassemblés.


Bruno Tackels : On a tendance à penser que vous êtes une espèce de modèle de jeu novarinien. Il est peut-être plus juste de dire que vous êtes l'un des premiers à avoir défriché cette langue? Comment cela s'est-il passé?


André Marcon : C'est le texte lui-même qui a dicté sa loi. J'ai travaillé seul, pendant des mois et des mois, sans échéance de représentation. j'ai eu la chance de pouvoir travailler très longtemps pour pouvoir entendre cette langue. Même si j'ai eu un sentiment immédiat très fort, il était nécessaire de prendre du temps pour trouver les contrastes et habiter la partition jusqu'à pouvoir s'en libérer. C'est assez proche de ce qui se passe pour un musicien. il s'agit de trouver le geste global sur l'ensemble du texte, qui soit à la fois contrasté et harmonieux. C'est vraiment une affaire d'oreille, il s'agit de prendre le temps pour entendre. Ce que j'ai entendu assez vite, c'est ce qu'il appelle lui la catastrophe rythmique désespérée et le ressort comique qui en provient. Comme dans l'alexandrin, c'est la forme respiratoire et rythmique qui dicte sa loi au sens. L'auteur est aussi l'acteur de son texte en l'occurrence. Je ne me suis donc pas dit que je devais inventer quoi que ce soit, je me suis dit au contraire qu'il fallait que j'écoute.


Bruno Tackels : Est-ce que vous pensez que Novarina, lui, écrit en entendant les acteurs?


André Marcon : je ne crois pas qu'il écrit pour les acteurs, il écrit devant les acteurs, comme l'acteur est devant les spectateurs, il écrit devant un certain nombre de ceux qu'il connait. Au départ, il n'y a pas d'adresse circonstanciée, ensuite, quand il distribue le texte, il pense à certains acteurs. Mais je n'ai jamais réussi à savoir ça vraiment. Il ne faudrait pas non plus tomber dans le piège d'un groupe privilégié qui aurait accès à cette langue parce qu'il serait connu de l'auteur. L'acteur qui se met au travail arrive forcément à entendre cette langue. il faut être novarinien quand on joue Novarina, claudelien quand on joue Claudel et molièrien quand on joue Molière.


Bruno tackels : Quels sont les pièges à éviter quand on joue Novarina.


André Marcon : Comme dans tout le théâtre en général, ce serait la pompe, la solennité. Il y a le risque de se mettre à jouer bizarre parce que l'écriture serait bizarre. Alors qu'il faut être concret avec cette écriture. Avec les textes précédents, quand j'étais seul, sans personne pour m'aider, il fallait que je vois ce que je disais, il fallait que je visualise quelque chose, même si c'est une réflexion philosophique. On dit souvent que le théâtre de Novarina est pour l'oreille, je pense au contraire que l'acteur doit voir ce qu'il dit pour que le spectateur l'entende. c'est d'autant plus nécessaire dans ce théâtre, puisqu'il n'y a aucune situation psychologique. Il n'y a aucun drame entre deux êtres, il y a juste un drame dans la langue, un drame fondamental dans le fait d'être au monde - ce qui engendre une avalanche d'hallucinations sur la scène.


Bruno Tackels : Est-ce que cette expérience de jeu avec Novarina vous a transformé ou altéré comme acteur jouant d'autres théâtres?


André Marcon : Cette expérience m'a conforté dans l'idée que l'acteur doit toujours s'obliger à être concret. Il y a pour moi deux grands maîtres pour l'acteur : Racine et Novarina. avec eux on apprend à abandonner le faux chant ou le faux lyrisme. Il faut d'abord vérifier par les yeux, le lyrisme, le chant profond arrive après coup, après avoir posé des bases concrètes. je suis convaincu qu'il ne faut pas rajouter de théâtre au théâtre. Pour faire venir le spectateur à soi, il ne faut pas lui foncer dessus avec tout un bagage de recettes. Le plein air amène très concrètement ces questions, on est obligé d'aller à l'essentiel. Le spectateur aussi est obligé à plus de travail.



Daniel Znyk


Bruno Tackels : Vous entretenez un long compagnonnage avec l'écriture de Valère Novarina.


Daniel Znyk : Pas aussi long que Michel Baudinat, qui doit certainement avoir la palme de l'ancienneté. J'ai joué dans cinq pièces de Novarina, dont trois sous sa direction, Vous qui habitez le temps, Je suis, l'Origine rouge. J'ai aussi joué le Repas et l'Operette imaginaire sous la direction de Claude Buchwald.


Bruno Tackels : Comment s'est passée la rencontre avec Valère Novarina?


Daniel Znyk : C'est une assez belle histoire. Je jouais un rôle muet dans un spectacle de Jean-Pierre Vincent, c'était le Faiseur de théâtre de Thonas Bernhard. Je jouais le fils, qui est là depuis le début, il bricole des trucs de théâtre pour que la représentation se passe bien, mais il ne dit pas un mot. C'est après m'avoir vu dans ce rôle que Novarina m'a invité chez lui et m'a donné à lire Vous qui habitez le temps. Comme pour renverser ce mutisme absolu et défouler mes cordes vocales. Ma première réflexion, à la première lecture, a été de dire : c'est impossible de faire du théâtre avec ça, donc c'est d'accord. C'est un compagnonnage dont je suis très fier. Pouvoir accompagner une écriture comme celle-là, je trouve ça rare et précieux dans le parcours d'un acteur.


Bruno Tackels : Comment cette écriture travaille-t-elle un acteur? Est-ce qu'elle change profondément la nature de son travail?


Daniel Znyk : A part le fait que c'est un enfer absolument total pour la mémoire, c'est à chaque fois très personnel pour chaque acteur. Chacun trouve un chemin et des limites, qu'il va repousser. Pour s'emparer de cette langue, l'acteur a besoin de développer un imaginaire fort, par-delà les explications de textes, qui ne servent pas à grand chose. Novarina nous fait totalement confiance pour trouver notre chemin et raconter notre histoire. Il s'agit de mettre son écriture en situation sur le plateau. Quant au travail de l'acteur, je ne me pose pas vraiment la question en termes techniques. Je sens dans cette langue des élans qui me font rencontrer l'univers du cirque, les clowns et le burlesque. A partir de là je trouve l'envol et je sens qu'il y a une justesse, une sincérité. Effectivement, cette liberté permet plusieurs types de jeu, vraiment très différents. C'est pourquoi l'expression d'"acteur novarinien", souvent utilisée, ne correspond à rien. Ce qui importe, c'est ce sentiment très précis de la justesse, qui autorise ensuite toutes sortes de voyages personnels. En plus, quand on a la chance d'accompagner Novarina depuis longtemps, il écrit en pensant aux acteurs. Il nomme des corps, des individus. Ce qui est très privilégié, c'est de pouvoir développer des rapports qui sont de l'ordre du secret, de personne à personne, entre les acteurs et un écrivain-metteur en scène. Il y a aussi ces forces intimes, derrière cette dinguerie d'une écriture qui pousse à bout la langue, dans ce désir sans fin de nommer le monde pour ne pas mourir. Pour revenir à la question de la mémoire, l'écriture de Novarina m'oblige à être scolaire, et à apprendre le texte très méthodiquement avant de répéter, alors qu'en général, je préfère apprendre le texte en répétant. Et les repères mnémotechniques ne marchent pas. C'est comme pour le spectateur, l'écriture est là pour mettre en désordre - à commencer par l'acteur.


Bruno Tackels : Est-ce que le passage par les mises en scène de Claude Buchewald vous a aidé à approfondir votre rapport à cette langue?


Daniel Znyk : Je crois même que la rencontre entre la metteur en scène Claude Buchwald et l'écrivain Valère Novarina a quelque chose d'historique, un peu comme a pu l'être la rencontre entre Beckett et Blin. Claude Buchwald a complètement magnifié son écriture, elle a développé un univers de théâtre, très concret, matériel, un univers de chair et de poussières de plateau. De son côté, Novarina metteur en scène s'attache essentiellement à ce qu'il appelle la danse parlée. C'est autour de la parole que s'organise l'ensemble du plateau. Ce qui est formidable, c'est que l'un influence l'autre. Je pense que Novarina se permet maintenant des choses qu'il ne se permettait pas avant de voir ce que Claude Buchwald a pu en faire dans son théâtre. Comme si la chair avait fait une entrée en force dans le théâtre de Novarina. Quand j'ai vu la première mise en scène de Claude Buchwald, Vous qui habitez le temps, neuf ans après qu'on ait crée la pièce, j'ai senti un rapport très fort à l'enfance, au monde des pulsions, et j'ai été frappé de voir à quel point ce spectacle retrouvait les racines de l'écriture.


Bruno Tackels : Est-ce que les acteurs de Novarina font un travail d'ensemble? S'agit-il d'un travail solitaire qui part de soi, ou est-il tissé par la mise en jeu des autres acteurs.


Daniel Znyk : Je crois qu'en un premier temps, c'est personnel, intime. Et le travail ne devient collégial que quand je suis personnellement très impregné par le texte. Au début, je sais que la confrontation au groupe ne m'aide pas vraiment. Il faut aller creuser son trou dans sa tête d'abord, pour se retrouver tous ensemble. Là aussi il y a eu une évolution dans l'écriture. La première fois que j'ai travaillé avec lui, on avait le sentiment, dans l'écriture et dans la forme, qu'il émettait des vagues successives, amenées par des individus. Il y a eu un vrai changement avec le Repas, qui était un travail complètement choral. Dans l'Origine rouge, je crois qu'il y a un mélange des deux. C'est un orchestre qui laisse place à des arias où chacun peut exprimer son échappée.

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