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L'Instruction, Oratorio en 11 chants

+ d'infos sur le texte de Peter Weiss traduit par Jean Baudrillard
mise en scène Jean-Michel Rivinoff

: Présentation

Oratorio en onze chants


En 1964, Peter Weiss suit attentivement un procès qui a lieu à Francfort. Plusieurs responsables du camp d’extermination d’Auschwitz doivent répondre de leurs faits et gestes. Un grand Journal de Francfort le «Frankfurter Allgemeine Zeitung » documente quotidiennement in extenso les débats et le procès rencontrent un grand écho. Weiss lui-même a pris des notes durant les débats et se fonde, en élaborant son « oratorio en onze chants », sur les reportages publiés.


Il radicalise le théâtre documentaire en se limitant aux citations. Il échappe ainsi au danger d’une reconstruction historique toujours subjective et dans le cas de l’holocauste particulièrement problématique. En organisant les débats, il donne une intelligibilité et une forme permettant de comprendre l’histoire et d’en tirer des leçons, pour nous contemporains.




Note d’intention


Il nous reste en mémoire d’homme bien portant « Si c’est un Homme » de Primo Lévi.
Il y a un grand-père Mordiouk Rivinoff qu’on a poussé dans un train le 14 septembre 1942 en direction d’Auschwitz.
Il y a, dans un hier si proche, une Bosnie d’où ressort l’appellation terrible de « Camp de concentration ».
Il y a sur les murs de Paris écrit encore aujourd’hui « un monde sans juif est un monde plus heureux ».
Il y a Ariel Sharon qui dresse des murs.
Il y a les chiens des soldats de Georges Bush qui hurlent sur des hommes dévêtus.
Il y a …


Il y a Peter Weiss qui a écrit « L’Instruction » afin que nous, contemporains, nous puissions comprendre l’Histoire et en tirer une leçon …


L’Instruction est avant tout un texte singulier et fondamental du théâtre occidental au XXéme siècle. Il s’appuie sur une réalité (celle des camps d’extermination) qui résiste à toute fiction, à toute représentation mais qui devient par la force, la rigueur et l’exigence d’un grand auteur un poème au service de l’intelligence et de la réflexion. Dénudé de tout aspect commémoratif, il ne s’agit plus d’un devoir de mémoire mais d’un débat sans cesse réouvert, au présent, grâce à la force de la parole. L’acte de témoigner devient ici un acte politique qui nous invite à une vigilance permanente face à un gouvernement, face nos peurs, face à nos certitudes et à nos ignorances.


Jean Michel Rivinoff




Une écriture qui interroge nos actes


En premier ce qui frappe c’est l’écriture : radicale, simple, sobre et dépouillée. Elle rejoint la démarche que tente de suivre dans ses mises en scène la compagnie la lune blanche. Une écriture qui, au service d’un thème, engendre une grande exigence. Une écriture qui se tient sur un fil étroit et rigoureux : ni journalisme, ni documentaire, ni spectaculaire, ni fiction, ni fable, mais une occasion de récit qui se frotte au réel résolument théâtral par son architecture, sa musicalité et ses rapports de tension entre la parole et les personnages.


Il y a, ici, à faire « entendre » et la pièce de Peter Weiss pose la question de la théâtralité (au sens de Barthe : tout ce qui n’est pas texte) qui engendre la qualité d’écoute. Quelle représentation donner à ces paroles ? Cette question est l’une des préoccupations permanente de la compagnie. Toutes reconstitutions sont impossibles, toutes images naturalistes auraient leur part de vulgarité. Toutes tentatives de débordements émotionnels résisteraient au réel.


Aborder ce texte interroge donc notre travail, interroge l’acte de mise en scène dans son rapport le plus simple et le plus archaïque / Une scène (une aire de représentation), des acteurs (des gens qui parlent et agissent), des spectateurs (des gens qui écoutent et regardent).




Une mise en scène éclairée par les mots


Au-delà de sa qualité de témoignage et de sa valeur historique, intrinsèque, le texte de Peter Weiss soulève, entre autre, 3 questions essentielles qui nous paraissent importantes de traiter dans l’éventualité d’une mise en scène :


  • Jusqu’où va la soumission à l’autorité dans un système donné ?
  • Qu’est ce qui fait agir aussi terriblement sur son semblable ?
  • Que cache  « l’amnésie » récurrente face à des actes commis et reconnus ?

Une mise en scène n’est pas là pour répondre mais elle peut éclairer ces questions qui ne cessent jamais de se déplacer dans le temps et ressurgissent dans tout système humain qui croît vers la modernité. Et Peter Weiss, frappé par les extrêmes dont est capable l’âme humaine, ne l’oublie jamais. Les paroles du témoin n°3 dans le chant IV, nous semblent essentielles pour conduire ce texte vers une mise en plateau, afin d’y accorder les signes nécessaires à une représentation.


  • Extrait du Témoin n°3 dans le chant IV :
  • …Et s’ils ne s’étaient pas retrouvés dans la peau d’un détenu

Ils auraient pu aussi bien se retrouver dans celle d’un gardien…


  • … Nous connaissons tous la société d’où est sortie le régime qui a pu produire des camps
  • L’ordre qui y régnait nous était familier dans sa structure et sa forme
  • C’est pourquoi nous avons pu nous y faire jusque dans ses dernières conséquences
  • quand l’exploiteur fut enfin libre d’exercer son pouvoir à un degré inouï
  • et que l’exploité dut fournir même la cendre de ses os
  • … nous qui vivons encore avec ces images
  • savons qu’il est possible que des millions de gens
  • subissent encore une fois sans réagir leur anéantissement
  • et que cet anéantissement dépassera de loin en efficacité
  • les vieilles méthodes.

Tous les signes du plateau peuvent converger vers cette confession qui nous parle d’un système qui s’équilibre dans ses oppositions et dont la nature effrayante peut ne plus sembler anormale. Les acteurs ne peuvent pas être ici des personnages aux traits dessinés qui refermeraient le sens sur un passé à jamais révolu et conduiraient à un manichéisme jamais présent dans le texte. Ils sont plutôt les médiums d’une parole forte laissant place à la projection de toutes les âmes humaines. Dépouillés et sobres.


Notre démarche sera de respecter, de préserver et d’entretenir le dépouillement ; les mots éclairant notre incompréhension.




Une distribution plus concentrée


Pour sa réalisation scénique, ce texte pose le problème d’une distribution de 30 personnages. Nous sommes bien loin avec les modes de production actuels de pouvoir répondre à cette demande (peut-être à l’opéra). Au-delà de cette considération importante qui souvent nous fait reculer devant bon nombre de projets, nous devons nous poser la question de la nécessité aujourd’hui d’une telle distribution. On la conçoit facilement, à l’écriture, dans cette volonté de faire apparaître nominativement les accusés et d’être au plus proche du procès qui à l’époque était récent dans les esprits. Dans cette volonté, également non négligeable, de se rapprocher d’une forme tragique ancienne avec chœurs et coryphées qui donne d’emblée à la pièce un caractère théâtral fort.


Aujourd’hui, il nous semble tout à fait possible de réduire la distribution sans mettre en péril la lisibilité du texte, en s’appuyant sur le fait que, les accusés et les témoins sont plus des symboles que des personnages en représentation. Les nommer suffit à les faire exister, leur véracité comme celle des faits reste intacte.


La note de préface stipule bien que : les témoins ne font que rapporter ce que des centaines ont exprimé et parlant des accusés : ceux-ci ne sont que des symboles d’un système où bien d’autres se sont rendus coupables qui n’ont jamais comparu dans ce tribunal.


Partant de cette hypothèse, nous avons été frappés par la structure ternaire de la construction, chaque groupe de protagonistes est divisible par 3 (18 accusés, 9 témoins, 3 représentants de la justice), tous les chants sont divisés en 3 parties. Les échanges sont souvent des trios (Témoin, Juge, Accusateur)(Accusé, Juge, Accusateur)(Témoin, Défenseur, Accusateur), etc..


Nous avons donc réduit à 9 personnes. 3 Accusés, 3 Témoins et 3 Représentants de la justice dans un face à face équilibré. Les 3 accusés prennent en charge chacun 6 voix, les 3 témoins 3 voix et les voix de la justice gardent leur distribution. Donc 8 hommes et 1 femme. Respectant ainsi la structure ternaire.


Chaque acteur évidemment garderait toujours l’attribution des mêmes personnages jusqu’à la fin.



Nous pensons que cette concentration de la distribution va dans le sens de la sobriété et nous pousse à une lecture contemporaine de la pièce. Car, il s’agit bien, ici, de parler d’« aujourd’hui » dans cette extraordinaire intemporalité que nous offre le théâtre.




Une lecture d’«aujourd’hui»


  • Témoin n° 3 : … nous qui vivons encore avec ces images
  • savons qu’il est possible que des millions de gens
  • subissent encore une fois sans réagir leur anéantissement
  • et que cet anéantissement dépassera de loin en efficacité

les vieilles méthodes.


Ce passage, cité plus haut et répété ici, frappe l’esprit à la lecture de la pièce et nous place tout d’abord face à un abîme puis face à une responsabilité : la possibilité que cela recommence.
La découverte par Peter Weiss (il découvre les camps en 1945 lors de la projection d’un film) d’un système humain qui conduit à une telle horreur le pousse sans cesse à interroger son travail et par celui-ci, nous invite désormais à une vigilance et à une résistance permanentes.


Peter Weiss écrit pour  « un aujourd’hui » sans cesse renouvelé.


Si l’auteur choisit de parler des camps à travers le procès de Francfort, c’est qu’il peut construire sa pièce avec la matière des témoignages qui exclue toute reconstitution de la réalité. En procédant ainsi, il inscrit sa pièce dans le présent et fait revivre la mémoire à travers des paroles qui se libèrent « ici et maintenant ». On constate donc qu’il compose son texte non plus pour convoquer le présent du procès mais pour nourrir le présent de la représentation. Le procès n’étant qu’une évocation, un symbole de la mise en lumière d’une parole qui cherche la vérité et nous donne à comprendre.
Ce procès est sans protocole, sans date, sans le mot Auschwitz, ni le mot juif. Il se réouvre à chaque mise en scène. C’est de la survivance des principes qui conduisent à l’horreur dont nous parle Peter Weiss.


Et c’est, ce qui guidera notre démarche.




Le Texte


Nous procéderons à une adaptation du texte afin d’éviter les redondances de descriptions et de ramener le spectacle à une durée raisonnable en nous concentrant sur le processus qui a conduit à la mise en place d’une industrie de la mort et à son acceptation.


Parti- pris : respect des 11 chants et des divisions en 3 des chants mais coupes à l’intérieure des chants.


Extrait de lettres adressées par la Maison Bayer (filiale de IG-Farben) au commandant du camp de Auschwitz en date d’avril et mai 1943


Première lettre : « En vue d’expérimenter un soporifique, vous serait-il possible de mettre à notre disposition quelques femmes et à quelles conditions. Toutes les formalités concernant le transfert de ces femmes seront faites par nous… »


Deuxième lettre : « Nous accusons réception de votre lettre. Considérant le prix de 200 marks exagéré, nous vous offrons 170 marks par sujet, nous aurions besoin de 150 femmes… »


Troisième lettre : « … D’accord pour le prix convenu. Veuillez donc nous faire préparer un lot de 150 femmes saines que nous enverrons chercher prochainement.


Quatrième lettre : « Nous sommes en possession du lot de 150 femmes. Votre choix est satisfaisant quoique les sujets soient très amaigris et affaiblis. Nous vous tiendrons au courant du résultat des expériences… »


Cinquième lettre : « …les expériences n’ont pas été concluantes. Les sujets sont morts nous vous écrirons prochainement pour vous demander de préparer un autre lot… »


Citations tirées du livre d’Alain Melka « les Morts vivent à Auschwitz »

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