: Trois questions à Marc Feld
Qui était Thierry Metz ?
Essayer de décrire en quelques lignes une personnalité aussi complexe
que l’était Thierry Metz me semble impossible. Ce que je
peux affi rmer par contre, c’est que Thierry était à mon sens un
très grand écrivain, qui par son écriture et par le travail qu’il faisait
sur la langue « en émaciant le texte le plus possible » selon son
expression était capable de produire des fulgurances de langage
et de vous amener dans cette zone très particulière de l’émotion
où le coeur et l’esprit se rejoignent. Je songe à ces quelques phrases
tirées de L’homme qui penche : « J’écris avec ce qui me reste,
entre le pouce et l’index, dans un pincement d’étoiles. » « Seul ce
qui a été dit maintient l’accessible dans l’inaccessible. » « Nous ne
sommes là que par instants. Fugitivement. Du regard. Seulement
du regard. »
Ce que j’aime dans ces livres, c’est cette part d’énigme sous les
mots et en même temps la très grande fraternité qui en émane à
chaque instant… A travers eux, la gravité, la complexité du monde
et des êtres semblent résonner en écho perpétuel en nous renvoyant
sans cesse au mystère de vivre ; pas de réponse toute faite :
joie, violence, tempête et douceur mêlées. Thierry était un peu tout
cela à la fois et aussi un ami précieux dont la présence me manque
infiniment.
« Je ne serai jamais ailleurs qu’ici
dans une poussière de voix de possessions
parlant d’une vie qui est à mourir
et malgré tout
d’une abeille ou d’une ombre. »
Thierry Metz (Dans les branches)
Quelle forme théâtrale prendra ce texte ?
Il est très difficile pour moi de parler de la forme théâtrale que
prendra le texte avant d’avoir commencé les répétitions puisque,
pour faire naître le spectacle, j’essaie de ne pas avoir d’idées à
l’avance sur la forme justement. « Le tableau apparaît quand il
a effacé l’idée » disait Georges Braque. Tout le travail consiste à
faire remonter le fond à la surface pour qu’une forme apparaisse.
Le fond, c’est-à-dire le sens profond du texte, sa résonance dans
l’espace du plateau pour cela, je crois qu’il faut s’effacer le plus
possible, pour laisser le texte se révéler.
Je préfère parler d’élans et de désirs qui conduisent l’écriture du
spectacle et de matériaux aussi : le texte, les images fi lmées par
Jean-Jacques Nguyen et moi-même, dans une institution psychiatrique,
les corps, les visages, les regards, des gens qui traversent
ce lieu (patients et soignants), la musique et la présence
de Gérard Barreaux, l’acteur, Sylvain Thirolle, porteur d’une parole
parcimonieuse, de gestes infi mes, son jeu se construit et s’élabore
entre force et faiblesse, tension et relâchement, murmures et cris
(écrits), « entre la brindille et la forêt ».
Tous ces matériaux vont se rencontrer dans le chantier du travail
de répétitions pour aboutir à une représentation. Ce n’est qu’à l’issue
de ce travail que je pourrai parler de « la forme théâtrale » qu’a
pris le texte. En voulant porter sur la scène L’homme qui penche,
j’ai dans la tête cette phrase du grand écrivain italien Erri de Luca :
« Parler c’est marcher sur un fil. » J’essaie d’avancer avec ça, de
construire avec ça : tension, fragilité, légèreté, émerveillement,
mise en danger, pour s’approcher du plus vivant, c’est ce que je
voudrais atteindre et faire ressentir aux spectateurs ; la densité
légère et fulgurante de l’écriture de Thierry Metz.
« Parler c’est marcher sur un fil », on peut tomber ou traverser,
comme nous tous dans nos vies dévastées, quand nous prenons
le risque d’une parole vraie.
Quelle est l’oeuvre (fi lm, spectacle ou livre) qui vous a récemment marqué et pourquoi ?
Un livre : Les disparus de Daniel Mendelsohn.
Depuis qu’il est enfant, Daniel Mendelsohn sait que son grandoncle
Shmiel, sa femme et leurs quatre fi lles ont été tués, quelque
part dans l’est de la Pologne, en 1941.
Parce qu’il a voulu savoir ce qui s’est passé, parce qu’il a voulu donner
un visage à ces six disparus, Daniel Mendelsohn est parti sur
leurs traces, rencontrant, année après année, des témoins épars
dans une douzaine de pays. Cette quête, il en a fait un livre, puzzle
vertigineux, roman policier haletant, plongée dans l’histoire…
Par sa construction, son écriture et sa puissance, ce livre m’a
bouleversé ; c’est un livre sur la transmission, où la petite histoire
rejoint la grande histoire en permanence et où la fi ction et la réalité
se croisent et interrogent sans cesse notre rapport au temps, à la
mémoire et à l’oubli.
C’est un livre qui pose également à mon sens et d’une façon absolument
originale la question de la culture.
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.