: Nouvelle édition de «L’homme qui penche» de Thierry Metz, préface
A l’époque, chaque matin, avant de me rendre au travail, je lisais de la poésie. C’était
le meilleur moyen que j’avais trouvé d’affronter la journée. Je regagnais un peu de mon
intérieur, quelques morceaux de lumière en guise de gilet pare-balles contre les agressions
multiples de la vie sociale.
On ne sait pas assez que la poésie est utile, mieux, vitale. Les hommes, qui l’ont inventée,
qui en détiennent les clés dès l’enfance, ont occulté ce qui peut les rendre à eux-mêmes. La
poésie perdue, comme si pesait sur elle un maléfice oublieux, devient alors un objet d’initiation
incapable de rivaliser avec la multitude de divertissements à consommation instantanée.
En 1990, je suis tombé sur «Le journal d’un manoeuvre» de Thierry Metz. Le choc. Un type
écrivait, sous la forme d’un journal, des moments passés sur un chantier de bâtiment. Apparemment,
une description de faits et, au bout, la lumière, la grâce. Derrière les gestes, les
événements simples et ordinaires, poussaient comme par enchantement les pépites d’une
parole d’or.
«On travaille, quelque chose avance : c’est le but. Est-ce le seul ? Faut-il qu’un langage
s’isole de tout ça, s’absente, pour en parler ?
Peut-être.
Le manoeuvre ne fait que ça du lundi au vendredi.»
A notre demande, Thierry Metz nous a confié «Dans les branches», publié chez Opales en
1995,
«je n’aurai pour t’approcher / que ma voix marchant sur cette braise». Nous l’avons rencontré,
nous l’avons perdu, nous l’avons retrouvé, il nous a rejoints à Bordeaux entre bibliothèque,
chambre d’étudiant, imprimerie, bars, sur sa mobylette, allant au hasard des rencontres.
Il y avait en lui l’autre penchant, une frontière franchie en guise de blessure. La mort, ou
le diable,
«Qui est-il celui-là qui porte les vêtements usés de son nom, de ses actes ? qui va pieds nus
dans de grosses chaussures noires ?»
En octobre 1996, Thierry Metz entre au centre hospitalier de Cadillac, en Gironde. à sa sortie,
il vient me voir avec un drôle de journal : «Je dois tuer quelqu’un en moi, même si je ne
sais trop comment m’y prendre.» «L’homme qui penche I», 54 textes publiés sous la forme
d’une petite brochure offerte en cadeau juste avant Noël. J’y joignais ce prière d’insérer :
«Ce texte superbe et douloureux, carnet de bord d’un passage, d’une traversée,
excède les limites de la stricte littérature et le cadre d’une offrande rituelle.
Il en va de la maison (pour Thierry Metz comme pour tous ceux qui ne sont pas
dedans, elle est autrement baptisée maison de la réparation).
Il en va de la raison, sinon de la conscience.
Il en va de la présence.
Il en va des jours qui nous dévisagent, selon que nous sommes en eux ou nous tenons sur
leur seuil, en leur communauté ou en leur exil.
Aux hommes, les années qu’ils comptent, déclinent, au choix, une vie pour rien ou une vie
de la présence. Ce texte est un vrai cadeau parce qu’il nous offre le choix ; de cette année
qui se ferme à cette année qui s’ouvre, quelle présence fêterons-nous ?»
En janvier 1997, Thierry Metz retournait à Cadillac, puis revenait avec la suite du journal,
«L’homme qui penche II» : «Le mur est intact. Le maçon n’est lié qu’à ce qu’il fait. Et qui
tient.
Voilé par la mort. Que toute présence nous voile. »
En avril 1997, il en finissait avec lui-même. Sans doute rejoignait-il autre chose. Il nous a
laissé «L’homme qui penche» en partage. Le voici.
Didier Periz
Thierry Metz, «L’homme qui penche»,
Pleine Page éditeur, nouvelle édition, 2008
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