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L'Excès-l'usine

+ d'infos sur le texte de Leslie Kaplan
mise en scène Marcial Di Fonzo Bo

: Entretien avec Leslie Kaplan

par Raymond Paulet

Votre rencontre avec Marcial Di Fonzo Bo ne date pas d'aujourd'hui ?


J'ai rencontré Marcial alors qu'il était élève à l'école du TNB. Ceux qui n'étaient pas encore les Lucioles avaient choisi de travailler avec des détenues de la centrale des femmes sur l'Excès-l'usine. J'avais d'abord été un peu perplexe : un texte sur l'usine, dans une prison, est-ce que ce n'est pas beaucoup d'enfermement ? Et j'ai vite compris qu'avec Marcial, Elise Vigier, Pierre Maillet, Frédérique Loliée, les détenues allaient aussi le jouer comme un texte sur la folie et cela m'a semblé intéressant. Il y a eu une remarquable représentation à la prison. Aussi, quand Marcial m'a parlé de son désir de remettre ce texte en scène, autrement, au théâtre, avec des comédiens, des musiciens, j'ai été d'emblée d'accord. Vous n'avez jamais écrit spécifiquement pour le théâtre. Mais il y a eu plusieurs adaptations de vos récits ou romans.


Votre écriture stimule les gens de théâtre ?


Sans doute. Je suppose qu'il y a un caractère contemporain dans la façon dont c'est parlé, dont c'est dit. J'ai également souvent eu des propositions pour le cinéma. On m'a souvent dit que mon écriture est cinématographique.
Quand on sent que les mots ont porté, qu'ils sont entrés pour un temps dans la pensée de l'autre, c'est ce qu'on peut espérer de mieux pour un écrivain. Pour moi, c'est qu'ils restent vivants, ils continuent à faire leur effet. Et puis le travail du théâtre me donne beaucoup d'idées. Je pense que cela a eu des conséquences dans mon écriture même, sans que je puisse les définir précisément. Claude Régy a été le premier à adapter l'un de mes textes, en 1988. Grâce à lui, d'autres ont découvert mes textes.


L'Excès-L'usine est pourtant d'une écriture surprenante, singulière. C'est Marguerite Duras qui dit : " je crois qu'on n'a jamais parlé de l'usine commevous le faites ". C'est un texte que vous avez mis longtemps à écrire ?


Je l'ai écrit dix ans après l'expérience que j'avais vécue avant, pendant, et après les évènements de mai 68. D'emblée j'ai cherché à faire quelque chose qui n'était pas dans la tradition de Zola et du naturalisme. J'ai fait le pari que ce serait d'autant plus réel. Je voulais vraiment montrer ce qu'était l'usine, de l'intérieur


Vous avez opté pour cette écriture poétique, à la différence d'un Robert Linhart écrivant l'Etabli comme un document sur l'usine et la condition ouvrière…


C'était tout à fait différent, il a formidablement réussi ce qu'il a voulu faire mais ce n'était pas la même optique.


Aujourd'hui, avec le temps, comment considérez-vous ce texte ?


Le livre me semble être toujours juste par rapport à ce que je voulais dire. Pour cela je suis très contente que Marcial ait voulu le reprendre. Oui j'ai l'impression qu'il parle de l'usine et du monde contemporain d'une façon que je trouve juste. Tout ce qui concerne la dépersonnalisation, la vie dans les villes actuelles, je trouve que ça tient, avec ces mots là.


Écrire l'usine plutôt que la décrire…


La faire sentir à travers les mots, oui.


Comme une sorte de chant, de mélopée, qui fait voir et entendre l'usine au-delà de ce qu'elle est physiquement…


Oui cela commence comme cela, " l'usine, la grande usine univers "… L'usine est la fois l'usine et, par certains aspects, la métaphore du monde contemporain. Proche de ce qu'Hannah Arendt a pu appeler la désolation. C'est-à-dire l'isolement et la solitude, non pas choisis mais subis. Pour elle, c'est en rapport avec la société industrielle de masse. En même temps, et c'est aussi la question du travail des mots, on peut y trouver des interstices, des écarts où on vit aussi autre chose, de l'ordre de l'étonnement, de la découverte…


On vous a reproché de ne pas faire suffisamment cas des conduites d'évasion par rapport à l'enfermement…


On me l'a reproché, et cela revient toujours. Dans l'excès-l'usine je ne voulais pas parler de cela. L'usine reste ce qu'elle est, avec l'horreur de ce travail là : un travail aliéné qui n'est plus un travail. C'est aussi pour cela que je ne voulais pas adopter un point de vue naturaliste. Pour ne pas banaliser et tomber dans l'anecdote. Et pour considérer l'usine jusqu'au bout. Jusqu'à l'excès. A la sortie du livre, il y a eu énormément de débats, de discussions. Beaucoup de gens disaient oui mais…Je me souviens d'une dame furieuse disant " tout cela c'est faux. Mon mari travaille à la chaîne depuis 30 ans et il aime ça ". Plus récemment, et au contraire de cette dame, une jeune femme disait en parlant des ouvriers de chez Michelin : " il y a quelque chose de frappant : ceux qui travaillent là ne veulent pas que leurs enfants fassent la même chose ". Cela veut dire que l'on veut sortir de là. C'est assez définitif ! Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas en effet la télé et le frigidaire. On peut aussi essayer d'imaginer ce que serait une société qui pourrait se passer de cela.


Qu'est-ce qui vous inspire ?


Tout. L'état d'un certain tout à un moment donné. Je vis dans le monde et écrire est ma façon de répondre au monde. Bien sûr je suis citoyenne, et il y a d'autres façons de répondre, comme les ateliers que j'anime depuis une quinzaine d'années dans des quartiers, des collèges, des banlieues… Je pense que la langue fait partie du lien social, c'est même le premier lien entre les personnes. Il s'agit d'en faire un lien vivant.


Recueilli par Raymond Paulet.

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