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L'Espace furieux

+ d'infos sur le texte de Valère Novarina
mise en scène Valère Novarina

: Entretiens

Entretien avec Philippe Marioge, scénographe.



Que désigne l’Espace furieux  ?


C’est d’abord le titre qu’a choisi Valère pour l’édition du texte tiré de Je suis qui a été monté au Théâtre de la Bastille en 1991. Valère lui-même n’en a jamais donné de définition précise. Ce qui est sûr, c’est que, dans son œuvre, il a toujours accordé une place prépondérante au rapport entre la parole et l’espace.
Si l’espace, ici, est furieux, c’est au sens où il produit une décharge électrique, et agit sur l’acteur, la parole et le spectateur. Sa fonction est de propulser de l’énergie, de faire naître de l’énergie, d’aider les acteurs à être eux-mêmes en énergie. Notre travail repose ainsi sur un double principe : ne jamais laisser l’harmonie s’installer ; ne jamais faire deux fois la même chose.
Ce jeu sur les contraires se manifeste dans le choix des costumes (les deux « enfants » sont vêtus de blanc et s’opposent à des personnages plus « incarnés », comme Sosie), dans le choix des objets (aux volumes blancs, géométriques viennent s’opposer des objets plus concrets, comme une bassine), et bien sûr dans l’élaboration du décor, qui distingue deux espaces : celui de la peinture (élément concret) à Jardin et celui de la pure lumière (élément abstrait) à Cour, séparés par une diagonale – à l’image des personnages semi-écorchés dont on voit la peau d’un côté et les muscles de l’autre.
Il s’agit de dire une chose et son contraire. La vie naît de « l’union des contraires ».


Vous étiez donc déjà aux côtés de Valère Novarina pour la création de Je suis en 1991, au Théâtre de la Bastille. Y a-t-il eu des évolutions dans votre travail depuis ?


C’est la première fois que je travaille avec Valère sur un texte déjà écrit. Habituellement, la scénographie se fait en même temps que l’écriture et elles avancent ensemble.
À la lecture, j’ai tout de suite eu la sensation qu’il fallait un espace de lumière. Il y a là un propos philosophique, voire mystique qui m’a semblé nécessiter un espace lumineux. J’ai donc choisi des matériaux et une organisation de l’espace qui permettent d’irradier la lumière.
Je considère que Valère a une triple écriture : celle des mots, celle de la peinture, et celle des objets, ces « accidents » qui traversent le plateau. Depuis 14 ans, il y a une nette évolution dans ce travail-là. Dans Je suis, il n’y avait pratiquement pas d’objets et pratiquement pas de peinture. Nous avions opté pour un plateau vide, nu, consacré à l’écriture des mots à l’exclusion de toute autre forme, pour donner le sentiment de l’ici et du maintenant et de la performance de l’acteur – comme au cirque. Depuis, j’ai mieux compris à quel point son écriture picturale et son écriture littéraire se rejoignent et doivent apparaître conjointement sur scène. Progressivement, la peinture a pris de plus en plus d’importance dans la scénographie – jusqu’à L’Espace furieux, où elle est omniprésente. Et puis c’est la première fois que l’on a la possibilité d’utiliser des cintres et des trappes dans une création ! On n’est plus dans le parti pris réaliste du plateau nu. Il s’agit de créer un espace de fiction.
La lumière qui vient du fond : Les murs et le sol sont eux-mêmes lumière. Il faut faire en sorte que quand on ouvre le rideau de scène, on ouvre une fenêtre. Avant, on se voit en reflet dans les vitres du simili miroir. On est dans un autre monde


Quel est à votre avis le rôle d’un scénographe ?


C’est un architecte. Il organise l’espace. Il « range » les millions d’idées, de désirs, de visions de l’auteur. Le décor ne doit pas être « décoratif », mais conçu pour permettre les entrées et sorties des acteurs, la répercussions de la lumière et de la voix… Le scénographe doit être à l’écoute de l’œuvre et de son univers, du metteur en scène et de ses mille désirs, des données techniques et économiques et de sa propre sensibilité. Son travail est de faire une synthèse entre ces différentes « écoutes ». C’est aussi un travail de traducteur : il faut être au plus proche de l’écriture originale, mais sans faire du mot à mot.


Propos recueillis par Charlotte Renaud




Entretien avec Christian Paccoud, auteur-compositeur interprète.



À quand remonte votre rencontre avec Valère Novarina et comment qualifieriez-vous cette collaboration ?


Ma première rencontre avec Valère Novarina a eu lieu à France Culture en 1995 à l’occasion de la lecture publique d’un de ses textes extrait du Repas. Initialement, il était prévu que je chante une chanson de Damia intégrée à la pièce. Au cours de cette rencontre, nous nous sommes rendu compte que son écriture de Novarina se prêtait très bien à la chanson et nous avons décidé de nous revoir pour prolonger cette première expérience. Quand Claude Buchvald a entrepris de monter Le Repas, nous avons eu l’idée d’introduire des moments musicaux originaux dans le spectacle et de mettre en musique certains textes pour en faire des chansons. Ont suivi dans un second temps, L’Opérette imaginaire, L’Origine rouge et La Scène.


Avant cette première confrontation avec le théâtre, quel avait été votre parcours ?


Je suis auteur-compositeur interprète, issu de la rue, des bals populaires où j’ai commencé à jouer de l’accordéon à l’âge de 11 ans. J’ai toujours baigné dans cet univers en essayant de réfléchir à l’essence de cette musique : ses ressorts, sa « brutalité », sa force et son énergie… C’est d’ailleurs ce qui m’a rapproché de Valère qui est pour moi un auteur populaire dans le sens où il renoue avec ce parler ludique, foisonnant, inventif. Dès le début, j’ai senti chez lui un goût des mots et une urgence à en protéger la richesse et la diversité. Cette démarche implicite faisait écho à mes tentatives de sauvegarder à ma manière, une langue vivante, colorée, aux antipodes du langage aseptisé et normatif qui tend à envahir tous les milieux sociaux.


Cette langue populaire est-elle en danger ?


Oui, il y a un appauvrissement réel de la langue et de la langue populaire en particulier. Cela m’avait beaucoup frappé quand je jouais un spectacle de Rabelais en vieux français. Il y avait dans les salles beaucoup de jeunes à qui cette langue parlait directement parce qu’elle recoupait des processus, des images qu’ils utilisent instinctivement. Les héritiers de Rabelais sont néanmoins fort rares… Aujourd’hui, l’expression populaire a beaucoup perdu de sa force imaginative et de son originalité. Dans les manifestations, les slogans sont d’une pauvreté affligeante qui n’a plus rien à voir avec l’impact et la gouaille qu’on trouvait encore il y a quelques années. C’est très dommage ! Bien avant de manquer d’argent, il me semble aujourd’hui que les gens manquent de mots et de paroles, ce qui les rend moins aptes à la résistance. Et la chanson subit de plein fouet cette tendance. La chanson populaire n’a pas disparu, mais aujourd’hui, elle est maquillée comme une vieille pute !
Il n’y a guère que le théâtre, la poésie, l’art qui nous permettent de renouer avec cette dimension, cette force et Novarina est à mon sens un auteur salutaire parce qu’il va puiser dans les terroirs, dans les zones « incultes » la richesse jubilatoire des mots. Je me souviens d’un texte qu’il avait écrit uniquement avec des noms de ruisseaux qui étaient tous plus beaux et plus mystérieux les uns que les autres.


Novarina déclare être venu à l’écriture par la musique et par le son. Qu’en pensez-vous ?


Cela ne m’étonne guère. Je fais partie des gens qui pensent que l’humain a chanté avant de parler et cette dimension sonore et musicale de la langue est aussi très présente dans l’œuvre de Novarina. Lui-même est très proche de la musique : sa mère jouait de l’accordéon, il a été nourri de chants populaires et je ne suis pas surpris du lien qu’il établit entre le texte et le son. La musique a une part d’imagination, une absence de signification qui me semble très proche de la langue de Novarina. Chez lui, avant d’entendre une mélodie, on entend un rythme, presque tribal.


Comment écrivez-vous la musique des spectacles de Novarina ?


Je me laisse véritablement habiter par ses mots. Ensuite viennent spontanément des mélodies et je conserve celles que la mémoire retient le plus facilement. Les textes de Valère jouent beaucoup sur le souvenir et je fais en sorte que la musique réponde à cela. J’apporte aux acteurs la matière sonore qui leur permettra de jouer avec le spectateur, de susciter des chocs, des ruptures de ton. Pour autant, la musique est tout sauf un accompagnement chez Novarina. Pour moi, elle est presque un acteur à part entière qui se fond dans l’harmonie générale ; elle vient très naturellement comme si elle était déjà contenue dans le texte.


Quels sont les instruments que vous utilisez ?


L’accordéon essentiellement. C’est mon instrument de prédilection. Il possède cette sonorité très populaire qui incite à la rengaine mais peut aussi être très violent. Il a en outre une capacité incroyable à accompagner les mouvements et les gestes (les sauts, les chutes…) ce qui en fait un instrument très théâtral. D’une façon générale, j’essaie toujours dans les spectacles de Novarina, d’installer d’abord un climat sonore rassurant puis petit à petit de déconstruire les mélodies pour arriver à quelque chose de plus inquiétant et l’accordéon m’aide beaucoup dans cette démarche.



Valère Novarina se réfère souvent à l’univers du cirque. Y pensez-vous également lorsque vous composez les chansons de ses spectacles ?


Oui, je crois que nous recherchons l’un et l’autre cette dimension acrobatique. Chacun avec notre instrument, nous avons le goût de la pirouette, du saut périlleux, du transformisme.


Valère Novarina a déclaré dans un entretien, en évoquant votre travail Extrait d’un entretien avec Valère Novarina, à paraître dans {le Journal des trois théâtres n°18, mi-janvier 2006. : « La musique suit son chemin circulaire, chaotique ; elle n'exprime rien, elle est la chanson du temps, le langage des choses, leur douleur d'être là. La musique entre violemment dans le spectacle, par surprise, toujours comme coup de théâtre porté à l'intérieur du théâtre. Elle ouvre de l'espace, le mesure autrement » . Qu’en pensez-vous ? }


Je suis incapable de vous répondre avec des mots. Je préfèrerais le faire avec un air de musique qui pourrait ressembler à… une valse endiablée !


Propos recueillis par Isabelle Baragan

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