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Le Jugement dernier

mise en scène Nicolas Janvier

: Notes sur la mise en scène

La scénographie doit tendre vers la simplicité comme Horváth l’évoque lui-même dans son Mode d’emploi (au public).


« Le décor, autant que possible, pas caricatural non plus s’il vous plaît. Le plus simplement possible, s’il vous plaît […] »


Quelques éléments mobiliers rustiques figurant tour à tour, un bar, des bancs, un comptoir… Un dépouillement qui rappelle l’état de crise du monde. En quelque sorte, un vide, le vide matériel mais aussi politique et intellectuel dans lequel les personnages luttent, se débattent.


J’opterai pour des costumes plus singuliers, possiblement anachroniques, influencés par l‘expressionnisme (celui-ci constitue une référence esthétique dans plusieurs étapes de notre cheminement avec le texte). L’idée étant que dans ce dépouillement du décor, la singularité des individualités frappe comme un combat, un désir farouche de ne pas sombrer, un désir de vivre malgré tout.


La création lumière accompagnera la plongée progressive de l’intrigue dans des temps plus troublés. Les acteurs évolueront dans un univers de plus en plus sombre. Nous utiliserons le jeu dans l’obscurité, les éclairages directs sur le plateau (grâce à des lampes-torches par exemple). L’évolution des saisons au cours de l’histoire sera elle aussi, traitée par le décor lumineux.


La musique fait partie, quant à elle, des marqueurs « horvárthiens ». Je compte m’inscrire dans cette volonté de l’auteur non seulement par une bande-son, mais aussi par une intervention du chant, des instruments, de la radio sur scène. Les personnages créeront donc parfois leurs univers musicaux par eux-mêmes. C’est là une volonté de laisser place à d’éventuels « accidents » qui participent à l’humanité des héros du Jugement dernier.


L’auteur dans ses didascalies nous renseigne systématiquement sur le temps qu’il fait, l’heure, l’environnement naturel. J’aimerais prendre appui sur ces indications. En effet, il me semble que la rencontre entre les « Etres » et les « Eléments » - le « Plus Grand que nous » - participe de la puissance de l’oeuvre et Horváth s’inscrit en cela dans une lignée d’auteurs qui l’ont inspiré, tels Strindberg et Ibsen.


Dans Le Jugement dernier, il évoque à plusieurs reprises « le Grand Inconnu » que l’on peut bien sûr identier à Dieu, notamment parce que certaines références dans les dialogues renvoient directement aux textes bibliques. Je préférerai le dénir comme une puissance transcendantale des « Eléments ». Une mystique de la nature. Pas une nature écrasante qui dominerait l’Homme, mais un personnage à part entière qui participerait d’un équilibre du monde. Ses personnages, dans un rapport récurrent à cette transcendance, sont en quête de cet équilibre qui devient ainsi une source d’espoir.


Un autre aspect fondamental de l’oeuvre d’Horvath est le rire. Il est partout. Il casse les codes en le distillant dans les scènes les plus tragiques. Plus encore, dans une même réplique, on peut passer du drame au rire en un trait. Le concept « passer du rire aux larmes » est dans ses pièces porté à son sommet.


On ne peut pas échapper à cette force en travaillant sur Le Jugement dernier - car c’est évidemment une force. Ses personnages sont entiers, tendres et cruels. Ils sont capables d’énoncer la pire trivialité puis de déclamer une poésie, cela renforce prodigieusement leur humanité.


Comme il le déclare lui-même, Horváth décrit les gens tels qu’ils sont. Cette approche est essentielle lorsque l’on aborde ses personnages. Il ne nous appartient pas de les juger, mais de leur restituer cette humanité. Pour ce faire, il nous offre une langue singulière. Tout à la fois directe, brutale et lyrique, elle se compose de phrases courtes, rythmées. Elles forment un ensemble presque musical.


De là, un travail important que nous devons effectuer sur cette langue et la prise de parole. Rien ne doit être petit et retenu. Le risque avec un langage qui peut être aussi abrupt est de verser dans la parodie, ce qu’il nous faut éviter. Il apparaît que la clef pour ce faire soit la sincérité.


Il y a dans le théâtre d’Horváth une présence récurrente des revenants, des fantômes. Il explore un monde poreux entre les vivants et les morts. Ceux-ci viennent hanter les personnages, quelques fois avec une influence directe sur le cours des évènements. On retrouve là l’intérêt que porte l’auteur tant à un certain mysticisme qu’à la psychanalyse. En effet, les revenants, les fantômes portent régulièrement une parole qui serait celle d’une bonne ou mauvaise conscience des protagonistes. Comme un jaillissement de tout ce que les héros refoulent et taisent.


Par ailleurs, la lecture du Jugement dernier nous plonge dans un genre proche du thriller. Il y a ici cette présence de revenants, mais aussi une intrigue suivant une vraie progression. Horváth aime y jouer avec le suspens, les rebondissements. C’est une des qualités fortes de la pièce et un axe de notre travail, celui d’élaborer la mise en scène dans le sens de cette progression de l’intrigue. Pour ce faire, je tâcherai de tisser la toile du suspens notamment en plaçant parfois le jeu au coeur du public, développant les rapports des personnages avec celui-ci.


Horváth offre pour cela des héros aux caractères bien définis. Il est souvent très précis dans ses descriptions. Je retiens ici une orientation qui guide son travail sur les personnages. Dans la plupart de ses oeuvres, il compose une galerie faite essentiellement de petits bourgeois et de prolétaires. Des commerçants, des artisans, des employés ou des ouvriers. Il oppose ces deux catégories sociales (le petit bourgeois et le prolétaire) sur un point fondamental, le rapport qu’ils entretiennent au monde qui change. Le petit bourgeois, dans une farouche volonté d’adaptabilité à ces bouleversements, est prêt à toutes les compromissions pour conserver son statut alors que les plus pauvres se trouvent victimes de ces arrangements dudit petit bourgeois avec la morale. On se trouve devant deux ensembles, les adaptés et les inadaptés. Ces derniers sont broyés mais peuvent espérer un salut dans l’au-delà. Les adaptés quant à eux courent vers un sort plus funeste.


Il ne s’en prend pas directement au statut du petit bourgeois comme celui qui possède plus que d’autres, il vise les ressorts de fonctionnement que cette position sociale induit.


Ceci étant posé, pas de caricatures, Horváth dit livrer les êtres tels qu’ils sont. Crument peut-être, mais non dénué d’une certaine tendresse pour la lueur d’humanité qu’il leur concède, pour la détresse de ces gens livrés à eux-mêmes dans le sauve-qui-peut général. L’implacabilité et l’empathie sont deux faces de son écriture.


À nous de ne pas perdre de vue cette dualité. En abordant ce travail, nous partons en quête de lucidité sur notre époque pour approcher cette lucidité qu’Ödön von Horváth avait sur la sienne.

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