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L'Art (n')e(s)t (pas) la science ?

Antoine Wellens ( Mise en scène )


: La Mise en scène

Entre le « Je » et le « Nous », une expérience commune

Le travail dans lequel je me suis engagé au sein du Primesautier Théâtre est basé sur la recherche d’une « esthétique de l’existence », un théâtre faisant l’expérience de notre société. Et devenant par là même un langage artistique que je revendique comme populaire. Si l’une des fonctions du théâtre est d’ « imiter » le monde, alors il me semble important de ne pas nous contenter de présupposés mais bien d’aller à la rencontre de ceux qui pourront nous éclairer sur notre sujet, tant sur le plan théorique que sur celui de l’expérience et du vécu. Je mettrai donc de facto nos pas et nos mots dans ceux de Brecht : « Ce que tu ne sais pas par toi-même, tu ne le sais pas. »


Chaque création doit susciter chez nous une remise en cause de nos méthodes et l’apparition de nouvelles interrogations nous permettant ainsi d’enrichir notre grammaire théâtrale. Venant de l’université et étant marqué par elle, je conçois le théâtre en m’interrogeant avec « mes camarades » sur notre métier et notre rapport au monde. Il me semble alors, dans mes prérogatives de metteur en scène, nécessaire de maintenir au sein de notre compagnie un état de curiosité permanente afin de ne jamais clore l’état d’apprentissage.


« Notre ignorance est infinie, entamons là d’un millimètre cube ! À quoi bon vouloir encore être si intelligents, quand nous pouvons être enfin un tout petit peu moins bêtes. »
Brecht, La Vie de Galilée.


J’envisage donc mon travail via « le collectif ». En ce sens que nous ne nions pas les fonctions de chacun, mais nous faisons en sorte que tous puissent avoir l’espace nécessaire pour s’exprimer et ainsi éclairer l’autre et le groupe de son regard et de son expérience. Nous tentons d’imaginer un endroit de travail démocratique pour fuir l’efficacité convenue du système pyramidal au profit d’un « exemplaire compagnonnage », mettant au coeur de nos créations artistiques des questions éthiques, sociales, politiques et parfois même métaphysiques.


En marge de nos créations, nous cherchons à inventer un mode de « vivre ensemble », où les décisions et les choix deviennent collectifs. Où chacun déplace sans cesse la création en train de se faire, nous fait dévier des chemins tout tracés. Au sein de l’objet créé collectivement, on peut ainsi percevoir la façon dont le sujet nous a touché, nous a déplacé de nous-même, et ce qu’il a produit sur notre micro-société d’acteurs, d’universitaires, de scénographes et de dramaturges et le rendre en toute honnêteté au public comme le fruit d’un travail et non comme une évidence innée...


Sur scène, le travail que j’engage avec les acteurs est un processus qui repose sur le désir commun de voir en premier lieu des « gens » sur un plateau et mettre en lumière « l’extraordinaire ordinaire de la vie » afin de le partager avec le plus grand nombre.


Je souhaite ainsi convier le public à regarder la scène comme on regarde une rue d’un balcon, avec douceur, le cerveau en éveil, tout en nous délectant des conclusions que nous tirons de ce que nous voyons.


Le temps de la représentation, doit être vécu comme une expérience de pensée, un endroit de transmission du savoir via cette spécificité théâtrale de pouvoir adjoindre du sensible à la théorie, « de trouver une poétique commune à la structure théorique » dirait Marie Reverdy. Je milite franchement pour un théâtre qui exprime de la pensée, qui fouille un sujet, qui part des clichés plutôt que de s’y complaire. Un théâtre théorique, véhiculant arguments, pensées, documents en lien avec une tentative d’éclaircissement de ce qui nous entoure. Un théâtre flirtant sans cesse avec des théoriciens. Un théâtre qui relaierait le plaisir d’apprendre (car la pensée est plaisir), jouant avec la « ludicité » du savoir et la lucidité qu’il permet.


J’engage donc mon travail vers l’extérieur, tentant de déchirer pour un temps le tissu social et d’envisager de nouvelles passerelles entre notre métier et ce qui le nourrit. Les trainings (pardon) entraînements que nous nous imposons entre acteurs / dramaturges / universitaires / metteurs en scène… sont faits d’observations concrètes du réel, de la rencontre vers l’autre, de tentative d’explication de ce que nous sommes, de comment nous pensons et pourquoi nous agissons comme cela entre nous. Nous soulevons, par le biais d’exercices, nos propres masques sociaux et nous apprenons à les trier pour les rendre opérants sur le plateau. Un tel travail pourrait vite devenir « insalubre » si, pour contrebalancer ce travail centré sur notre propre connaissance, nous n’allions pas justement vers les autres et ce qu’ils ont à nous apprendre.


Afin de faire de la matière théorique une expérience commune et vécue nous nous perdons souvent, durant les périodes de créations, entre les moments de pause entre chaque répétition. Nous nous imposons de regarder l’autre comme un acteur du matin au soir, du soir au matin, car, et c’est bien connu, « tout le monde agit comme un histrion »… Nous gardons souvent ce qui était en « off », nous perdant entre le réel et la fiction pour finalement retenir comme point de jonction artistique ce qui parait vraisemblable. Vraisemblable sur le plateau, au sein d’une histoire et d’une dramaturgie du quotidien. Nous admettons comme opérante l’idée toute deleuzienne qui veut que la carte d’identité la plus fiable d’une société serait la société elle-même et nous prenons alors le pari que nous en sommes un échantillon, sinon représentatif, du moins représentable…


C’est de cette manière que nous travaillons, avec la banalité du quotidien et ses mises en scène parfois surprenantes, s’alliant pour un temps à Jean-Marc Levy-Leblond pour dire que « l’Art et la Science ont peut-être en commun de chercher à mettre en lumière l’opacité du monde » ou reprenant Paul Virilio (non sans haut-le-coeur ontologique) : « Le monde est une illusion, l’Art est de présenter cette illusion au monde ».

Antoine Wellens

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