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L'Animal imaginaire

+ d'infos sur le texte de Valère Novarina
mise en scène Valère Novarina

: Métamorphoses

par Valère Novarina

J’ai toujours travaillé à l’aveugle, toujours commencé dans le noir... Je me fais du travail d’écriture une idée organique, animale et non machinale, mécanique. Les phrases elles-mêmes sont des corps : à retourner, à disséquer, à prendre « à bras le corps ». C’est une approche très manuelle du travail d’écriture. L’image, le fantôme de la gestation est très présent. Il s’agit de retrouver la joie concrète de l’apparition des choses, leur appel, leur surgissement.


L’Animal imaginaire a commencé par être une suite de variations sur certains épisodes des textes précédents. Je travaille de façon circulaire, creusante. La variation permet de « voir autrement ». Mes textes pourraient tous s’appeler « variation sur une idée fixe ». Un spectacle est comme une forêt : miroitante, jamais la même. Toujours « autre ». J’ai souvent commencé le nouveau texte à partir des copeaux, des chutes tombées de l’établi. Échos, réminiscences. Les pièces résonnent dans les livres et inversement.


Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. Le paysage change à chaque pas. Chaque passage d’un col renverse la vue. La montagne est l’expérience de la vue plurielle. Il s’agit donc de creuser pour « voir autrement ». Comme un paysage familier où l’on retourne pour le voir à chaque fois différemment. Le renouvellement de nos perceptions est sans fin. Je revisite des textes anciens, je retrouve des leitmotiv, comme ces « rivières » de noms de personnages, ces litanies qui coulent, s’écoulent, serpentent, traversent chacun des spectacles. Ces accumulations du langage créent une effervescence de l’espace, des moments « d’ivresse tournante ». Je les associe à la piste du cirque mais aussi aux rosaces des cathédrales : tourbillon de couleurs soudain interrompant le récit de l’Écriture par les vitraux.
Continuer les toiles anciennes à l’envers ou les peindre tout autrement. Retourner aux anciennes peintures, aux anciennes pages, pour leur faire avouer quelque chose. Leur faire dire ce qu’elles n’avaient peut-être dit qu’à moitié. Ce qui est mystérieux dans la peinture, c’est le retentissement de chaque geste. Le chemin des traces. Il suffit d’ajouter un point de couleur quelque part pour changer tout l’ensemble. C’est la même chose dans le travail d’écriture. Il faut retrouver l’acuité des mots, leur tranchant, parfois en ne changeant qu’une syllabe. Un rien provoque la métamorphose. Les acteurs sont comme les peintres ; ils tracent de l’homme dans l’espace.


Ce qui est chanté est central, pas du tout orné ou enjolivé par la musique, mais révélé par elle. La musique ouvre l’espace où se joue la pensée. Brecht disait que « les personnages chantent lorsqu’ils mentent », ici, dans L’Animal imaginaire comme dans L’Origine rouge, comme dans Le Vrai sang, « les personnages chantent lorsqu’ils disent la vérité ».


Le langage est une arme, un assemblage de projectiles. L’acteur le lance contre le mur de la conscience des spectateurs. Le spectacle est une offensive. Le théâtre est un art lapidaire. Une concentration des énergies.
Les spectateurs reçoivent chacun, singulièrement, des cailloux verbaux. Ils viennent aussi réentendre leur langue autrement, redécouvrir toute l’étendue de la palette sonore du français. Le spectateur vient au théâtre s’étonner à nouveau de parler, il observe sous un jour nouveau le corps mystérieux du langage, presque ses zones érogènes ! Il y a une joie de la parole, une joie plurielle. Il vient observer. Observer l’art de l’acteur, l’émotion qui ne tient souvent qu’à un fil. Observer aussi la vitesse du langage, les mots qui se répandent par vagues dans la salle, comme les mouvements de la mer, à l’opposé d’une conception mécaniste du langage. Les mots ne sont pas une monnaie, on ne s’échange pas du sens comme de l’argent. Le langage est un corps qui s’offre dans l’espace. Une sculpture qui se forme entre nous et à laquelle chacun vient ajouter quelque chose. Le lieu du langage c’est l’espace, et non je ne sais quel lieu neutre, abstrait, sans oxygène, immatériel à l’écart. Le langage n’appartient pas au domaine des idées. Il est soit sur une page, soit soufflé par un corps, soit sur une scène. Au théâtre, nous venons reprendre conscience du nœud vital, du nœud vivant qui lie le corps à l’espace.


Valère Novarina, mai 2019, propos recueillis par Adélaïde Pralon et Fanély Thirion

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