theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Klaxon, trompettes... et pétarades »

Klaxon, trompettes... et pétarades

+ d'infos sur le texte de Dario Fo traduit par Marie-France Sidet
mise en scène Marc Prin

: Note d’intention de la mise en scène

Klaxon est une pièce ancrée dans une actualité spécifique : l’Italie des années 1970-1980 et son lot de mouvements sociaux, de luttes, de séquestrations, d’attentats meurtriers, jusqu’à l’apothéose du pire: l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro.
Cette époque, qui appartient à l'histoire, qu'a-t-elle à nous dire sur la nôtre ?
Vue d'aujourd'hui, elle annonce incroyablement clairement l’avènement de la prédominance et de l’omnipotence du pouvoir économico-financier sur la « chose » politique. Par contraste, elle jette aussi un éclairage cru sur la passivité des politiques et sur notre résignation collective face aux délocalisations et autres restructurations, qui laissent sur le carreau des centaines de milliers de licenciés économiques, de salariés. Elle nous oblige enfin à prendre la pleine mesure de la colère et de la désespérance de ces laissés-pour-compte de la globalisation triomphante, celles des ouvriers de Continental à Clairoix s’attaquant à la sous-préfecture de Compiègne, celles des travailleurs de l’usine Molex à Villemur-sur-Tarn, séquestrant l’un de leur dirigeant, pendant 26 heures.
Car la lutte des classes, dont la disparition a pourtant été plusieurs fois claironnée et entérinée, existe toujours bel et bien. Elle est même dans une phase critique : elle est en passe d'être perdue. Ou gagnée... « La lutte des classes existe, bien sûr, et c’est la mienne qui est en train de la remporter », clame haut et fort le milliardaire américain Warren Buffet.
C'est ce triomphe obscène que Dario Fo pressent lorsqu’il fait dire à Agnelli à la toute fin de Klaxon : « Vous n’avez jamais lu Karl Marx, alors ? Eh oui, je sais… nous sommes les seuls à présent, nous les grands industriels, à lire le Capital… en particulier le passage où il est dit ; « Le seul véritable pouvoir est le pouvoir économico-financier, les holdings, les banques, les marchés… en un mot, le Capital ! » (…) Mettez vous bien ça dans la tête : je suis l’état ! Le capital que je représente c’est l’état ! (…) l’état c’est moi ! ». Tel est le miroir impitoyable tendu par Fo à notre époque : triomphe cynique de l’argent, mise au pas de la justice, haine ouverte de la pensée et de la culture, abrutissement généralisé à grands coups d’inanités télévisuelles...
Comment faire face ? Qui mieux que Dario Fo qui affronte bille en tête une Italie rendue aux sirènes du populisme de Berlusconi et de Bossi peut nous indiquer la voie ? Artiste engagé et infatigable enragé, il est, à 84 ans, toujours en prise avec la réalité d’un monde sinistre à souhait. « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».
Fort de son érudition hors-norme, ardent défenseur d’une culture orale et populaire, il démontre par le rire que la farce et la satire sont une arme efficace contre le tragique contemporain. Par la grâce de son gai savoir d'auteur-acteur, sa riposte consiste à transposer la tragédie du réel en comédie grotesque, rageuse et vengeresse. Sans demi-mesure ni fausse pudeur, sans barguigner ni tergiverser, le dramaturge italien rend coup pour coup et se farcit au propre comme au figuré aussi bien la figure du patron que celle l’ouvrier machiste. Klaxon est férocement drôle et violemment d’actualité.
Avec une sorte d'évidence miraculeuse, une fois traduite, adaptée et resserrée, Klaxon, trompettes et pétarades se met à parler d’aujourd’hui avec une force de percussion inouïe. Théâtre de situations plus que de texte, la machine scénique inventée par Fo propose une partition d’une précision mécanique. Machine à broyer et/ou machine à jouer, elle donne toute sa place au corps de l’acteur. Précipité dans les situations les plus folles, l’acteur suit sa logique propre, naïve, absurde mais toujours concrète et sincère. Seul, à deux ou à plusieurs, il avance parfois masqué, mais toujours à découvert, au coeur d’un dispositif de « quat’sous », d'une scénographie délibérément légère, bricolée, sans coulisses ni miracles. Il s'engage, il se dépense, il se dépasse, toujours exposé à la vue du spectateur, sans jamais l’oublier, jamais devant, jamais derrière, toujours avec. Il y a là la nécessité d’être en prise directe – au présent – avec le public, de façon à le « dominer, pour garder le rythme ». L’acteur « tripes à l’air » est contraint à la virtuosité.
Mettre en scène Klaxon, c'est donc donner à voir le comédien à l'ouvrage, jeté dans l'arène, dans la pleine lumière de l’action, mais aussi dans l’ombre de sa concentration, de sa respiration et de sa mue. C'est laisser le spectateur porter son regard sur l’endroit et l’envers de cette danse grotesque, de ce vaudeville militant, lui proposer un théâtre entièrement montré, matériel, explicite, pour l'inviter à une présence active et réfléchie – anti-télévisuelle – , et pour l'inciter à sortir de sa passivité, de sa torpeur, de son assignation au silence et à l'immobilité, qui transforme trop souvent les représentations en « concerto pour toussotements et papiers froissés » – pour l'exhorter, enfin, à s'affranchir de sa résignation morose au monde tel qu'il va (mal).
Pour l'équipe artistique dans son entier, il s'agit d'inventer au diapason, sans jamais fléchir, une scansion rythmique très sûre, soutenue avec force imagination et grande jubilation, et de tendre vers une théâtralité joyeuse et irrévérencieuse, véritablement populaire, en quête de ce « rire qui aiguise toujours la lucidité du spectateur, à l’égard de lui-même et de l’ordre social ». Jusqu’à faire exploser au visage du spectateur actif la vérité crue, saignante, bleue qui « klaxonne », « trompette » et « pétarade ».

Marc Prin

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.