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Juste la fin du monde

+ d'infos sur le texte de Jean-Luc Lagarce
mise en scène Cédric Revollon

: Lettre au lecteur

par Cédric Revollon

Je me souviens de ces dimanches où nous partons toute la journée en forêt cueillir des châtaignes et des champignons. Je me souviens de ma grande soeur, l’aînée, nous protégeant des dangers, un merle dans un buisson ou un chaton dans une gouttière. Je me souviens de ces matins de Pâques où nous sortons dans le jardin frais, emmitouflés dans nos pyjamas d’éponge multicolores pour fouiller la verdure et dénicher nos trésors en chocolat.


Les cloches sont passées encore cette année là.


Je me souviens de nous cinq, assis sur le sofa, captivés par une série américaine où deux flics filent à toute berzingue dans des rues étroites au volant d’une voiture rouge et blanche. Je me souviens des soirées de cartes où mes parents jouent avec les voisins, et ça clope et ça picole, en augmentant les enchères… Je me souviens de ma frangine, la moyenne car le petit c’est moi, jouant au fakir sur une planche à clous (cadeau de fête des mères…), de nos fous rires car « comme cul et chemise ils sont ! », et de nos chamailleries car « comme chien et chat ils sont ! ».


Avec la grande c’est différent, elle est un peu solitaire.


Je me souviens de la douceur de l’enfance et du chahut, des rires, de la tendresse, des engueulades aussi.


Puis mon père est parti.


C’est un pilier du clan qui s’effondre et le navire prend l’eau.
Ma soeur aînée ensuite, première décision importante. Puis c’est à mon tour d’aller en pension, la moyenne reste auprès de maman. Nous grandissons, nous faisons nos études, nous aimons à notre tour quelqu’un d’un autre clan, nous nous séparons peu à peu sans jamais nous oublier, sans jamais oublier de nous aimer, et presque malgré nous..
Quand je regarde tout cela aujourd’hui, je me dis que nous avons tous fait nos vies, pris divers chemins pour bifurquer à maintes reprises, un à l’autre bout du monde, un autre si proche mais parfois si lointain. Cependant même si ce clan n’existe plus aussi clairement, nous sommes restés liés, unis par une histoire commune ou nous nous sommes tous modelés les uns les autres, mêlés les uns aux autres à ne plus savoir ce qui est à soi.


Ces liens du sang dont on parle, ces racines communes, ce patrimoine génétique…


Nous nous sommes construits ensembles, détruits aussi, cajolés et fais souffrir mais toujours par amour et par souci de paix..
Quand j’ai lu le texte de Jean-Luc Lagarce, j’ai vu le visage de mes frangines, leurs sourires de gamines édentées, ma mère avec ce regard si changeant entre passé/présent et mon père avec sa barbe de baroudeur, de Robinson, d’aventurier toujours absent… et moi enfant, et désormais adulte. J’ai été saisi par la vérité des propos, la justesse et la précision des répliques qu’on décoche comme des flèches et qui vont droit au but, sans compromis sans alternatives, avec honnêteté. J’ai été touché par la mesure et l’ampleur des personnages, par la sincérité d’un auteur à bout de souffle qui continue à hurler..
Ces souvenirs, sentiments et ressentiments ont gonflé la voile et poussé le navire, il fallait aller de l’avant et donner vie à ces personnages. Et comme elle me le disait lorsque j’étais enfant, j’ai entendu ma mère me susurrer dans le creux de l’oreille : « qu’il fallait partager !

Cédric Revollon

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