theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Jimmy et ses soeurs »

Jimmy et ses soeurs

+ d'infos sur le texte de Mike Kenny traduit par Séverine Magois
mise en scène Odile Grosset-Grange

: Note d'intention

par Odile Grosset-Grange

J’ai décidé de passer commande à Mike Kenny de la pièce que j’attendais et ne trouvais pas.


Mon souhait de départ était d’interroger la place de la petite fille dans les pièces jeune public. Ayant fait le constat que le héros est bien plus souvent un garçon. Là comme ailleurs, le neutre est masculin. Le héros féminin est un héros genré. Qu’est-ce que cela signifie pour chacun d’entre nous ? Pour les filles de ne pas être le héros – ou alors plus rarement – et de devoir bien souvent s’identifier à un héros masculin ? Et pour les garçons : qu’est-ce que cela veut dire de ne pas avoir à s’identifier aux filles, de ne pas y avoir droit, ou presque ?


Les pièces que je lisais posaient la question : a-t-on le droit d’être une fille et d’être masculine, a-t-on le droit d’être un garçon et d’être fragile ? Ce n’est pas mon sujet, d’une part parce que la réponse est évidemment « oui » – je n’ai donc pas besoin de la poser –, mais aussi parce que ce sujet-là a déjà été fort bien traité par d’autres.


Je veux, comme le disait Françoise Héritier, « élucider l’ordre caché des choses » ; le questionner au moins.
« Partout à chaque époque, dit-elle, fut affirmée la suprématie du masculin, et il faut admettre que l’origine de la domination masculine se perd dans la nuit des temps. » C’est ce qu’elle appelle un invariant. « Mais qui dit invariant ne dit pas immuable » ajoute-t-elle.
Ouf, l’espoir est là… invariant et féroce, mais pas immuable !


Virginie Despentes, de son côté, parle formidablement bien de la représentation de la femme dans le cinéma français : « […] au cinéma, autant les femmes prennent des douches comme si leur vie en dépendait, autant les hommes ont de gros flingues. Qu’est-ce que ça se bat, les hommes, dans les films… Je ne dis pas que c’est pénible – ça donne même les meilleurs films – mais c’est la répétition, cette fois encore, qui dit quelque chose d’inquiétant. Sur grand écran, la masculinité est définie par la violence. Voilà, quand même, au final, le monde qui nous fait rêver : les femmes enfilent des petites culottes et les hommes cognent. »


« Élucider l’ordre caché des choses » dès le plus jeune âge me semble essentiel, puisque dès six ans les petites filles commencent à se sentir moins intelligentes. Pour les adultes, qu’ils aient ou non des enfants, c’est aussi une question majeure. Qui nous affecte dans notre quotidien. Celui-ci bruisse chaque jour un peu plus des violences faites aux femmes, de la libération de la parole. Qu’en ferons-nous ? Irons-nous vers une société de plus de libertés ? Ou bien risquons-nous de tout remettre en cause, de tout séparer, de faire disparaître les libérations essentielles ? Serons-nous autorisés à devenir ce que nous sommes ? Libres, différents et égaux ?


Mike Kenny a réussi à faire de ce sujet presque trop théorique – je le reconnais – une œuvre dramatique, avec la finesse, le suspense, la profondeur et l’humour qui le caractérisent.
Son écriture ne cesse de me surprendre et chaque pièce de lui à laquelle je m’attèle est différente de la précédente. Celle-ci nous a surpris tous deux ! D’abord avec les sœurs de Jimmy qui ne voulaient pas se taire et donner leur vision de cette histoire. Ensuite pour la dimension résolument fantastique et même surréaliste qu’elle a prise presque malgré lui. Nous surprenant à chaque nouvelle page et nous tenant en haleine. Nous permettant d’aborder le thème désiré avec toute la délicatesse nécessaire.


Jimmy et ses sœurs est une pièce foisonnante qui traite souvent sans en avoir l’air les questions que je posais. Je suis particulièrement heureuse de les aborder avec Mike Kenny, car au-delà de la grande complicité qui existe entre nous, nous sommes un homme et une femme en train de nous les poser conjointement.


Jimmy et ses sœurs sera donc le troisième volet d’un triptyque entamé avec Mike Kenny par Allez, Ollie… à l’eau ! en 2014, et poursuivi avec Le Garçon à la valise en 2016.


Comme dans ces deux précédents spectacles, nous retrouverons Séverine Magois à la traduction et Marc Lainé à la scénographie. Avec lui, nous continuerons notre recherche d’un spectacle potentiellement tous terrains (décor tenant dans un 12m3, temps de montage court, un seul régisseur).


Nous travaillons actuellement sur la notion de ce qui est censé protéger et qui finalement enferme, et sur la confusion entre l’intérieur et l’extérieur… La maison sera représentée par une structure en bois close mais « transparente », constituée de châssis de décor évidés, avec une porte et une fenêtre (cf. images maisons américaines en construction). Le travail de lumière permettra de transformer cet espace, tour à tour maison qui protège ou qui enferme, les châssis devenant des barreaux. Enfin, éclairés depuis le lointain, les tasseaux de bois évoqueront les arbres de la forêt finale, projetant leurs ombres inquiétantes…


Pour s’adapter au « tout-terrain » nous pourrons faire passer la structure de 7m à 5m de large, en gardant la même profondeur : 3m60.


L’évocation de la forêt sera aidée par une toile peinte au fond. Qui en fonction des éclairages fera apparaître la forêt au lointain ou bien pourra engloutir la maison au plus profond de celle-ci. Laissant les scènes qui s’y passent - proches de l’onirisme- se réaliser en contre jour. La moquette verte de la maison deviendra alors l’herbe de la forêt, les montants de bois se confondront avec les arbres.


Au niveau du son, je souhaite poursuivre mon travail de création en direct au plateau. Et possiblement de chants et musiques en direct. Les comédiennes s’aideront de machines fabriquées par notre créateur Jérémie Morizeau. Des sons additionnels prendront le relais.
Ici -comme dans les autres pièces de Mike Kenny- nous sommes dans du théâtre récit.
Notre recherche portera notamment sur le fait que plus la narration sera présente, plus les sons seront fabriqués à vu par les comédiennes ; et plus nous serons dans le jeu, plus les sons additionnels envahiront notre espace mental.


Concernant le jeu, il alternera donc –comme d’habitude chez Mike Kenny- du récit au jeu de façon très fluide. Trois comédiennes joueront les trois sœurs qui à la fois nous racontent et jouent leur histoire. Mais la particularité de cette pièce-ci est qu’elles joueront également tous les autres personnages, masculins comme féminins, de manière « fluide ». C’est à dire que ces paroles ne sont pas pour l’instant distribuées par Mike à chacune des comédiennes. Chacune d’entre elle pourra aussi bien nous donner à entendre la mère, le père, Anthony le meilleur ami… A tour de rôle. Par exemple le personnage de la mère pourra être joué alternativement par les trois sœurs à l’intérieur d’une même scène, se passant la parole comme un flambeaux, ou comme lorsqu’on se remémore les souvenirs d’un être cher. Elles sont trois femmes qui se racontent et nous racontent, une histoire.


Sommes-nous face à trois filles jouant à se faire peur ? Sommes-nous au théâtre ? Cette histoire a-t-elle eu lieu dans un futur proche ? Ou bien même s’agit-il de trois sœurs toujours enfermées qui se racontent une histoire de liberté ?


Dans cette grande aventure je serai accompagnée des virtuoses de la scène que sont mes anciennes camarades d’école (CNSAD) Marie-Charlotte Biais - que l’on retrouve dans la première création de la compagnie Allez, Ollie… à l’eau !- et Fleur Sulmont -qui a été mon assistante pour Le Garçon à la valise.
Elles seront accompagnées par une nouvelle venue : Blanche Leleu, que nous avons la joie de découvrir et que vous pouvez connaître des créations de Jean Bellorini ou de Pierre Notte.


Et comme nous comptons raconter cette histoire le plus longtemps possible au plus grand nombre d’enfants possible, garçons et filles, je vais tenter d’intégrer des futurs remplacements à ces actrices afin que la / les nouvelle(s) venue(s) soient intégrées au processus de création et nourries de celui-ci.


On pourra noter que ces comédiennes, mes camarades d’écoles et les autres, ne sont plus des enfants. C’est aussi une volonté commune avec Mike –qui le savait quand il a écrit cette pièce- d’offrir des rôles magnifiques et complexes à des femmes d’un certain âge… mon âge… où parfois certains osent dire que nous devenons invisibles.


Mais surtout, au-delà de la démarche politique que cela comporte et du plaisir de travailler en toute connivence avec ces amies, je sais que ce sont d’excellentes comédiennes et qu’elles sauront électriser le plateau de leurs présences.

Odile Grosset-Grange

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.