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Jeanne

+ d'infos sur l'adaptation de Bertrand Sinapi ,
mise en scène Bertrand Sinapi

: Axes de dramaturgie

« C’est sur ce terrain du mépris de soi, véritable terrain marécageux, que pousse toute mauvaise herbe, toute plante empoisonnée, et l’ensemble si petit, si caché, si malhonnête, si doucereux. Les vers des sentiments de vengeance et de rancoeur y grouillent ; l’air y empeste de choses secrètes et inavouables ; on y tisse continuellement la toile de la conspiration la plus pernicieuse, - la conspiration de ceux qui souffrent contre les réussis et les victorieux, on y hait l’aspect du victorieux.
(…) Que veulent-ils au juste ? Représenter à tout le moins la justice, l’amour, la sagesse, la supériorité – voilà l’ambition de ces « tout en bas », de ces malades ! (…)
Ils évoluent parmi nous en reproches incarnés, en avertissements qui nous sont adressés, - comme si la santé, la réussite, la force, l’orgueil, le sentiment de puissance étaient déjà en eux-mêmes chargés de vice qu’il faudrait un jour expier, expier amèrement : oh comme ils sont fondamentalement prêts à faire eux-mêmes expier, comme ils ont soif d’être bourreaux. »
Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, 3ème traité


Le travail dramaturgique s’est efforcé de faire ressortir, derrière le désordre illusoire du récit, les éléments qui le structurent.


Au niveau strictement narratif, il apparaît que l’action progresse selon un système d’étapes qui jalonnent les parcours intimes sur lesquels Jean et Jeanne avancent toujours plus profondément vers eux-mêmes. On découvre que les stations qui scandent ces deux itinéraires comme des chemins de croix se rejoignent dans un dénouement qui est à la fois une crise et une apothéose.


D’autre part, le texte mobilise des thèmes dessinant une géographie symbolique et souterraine qui constitue l’atmosphère singulière de Jeanne. Il a fallu mener un double travail de recensement des principaux champs lexicaux et d’interprétation des symboles extrêmement divers mobilisés par l’auteur : références bibliques, musicales, littéraires, folkloriques ou politiques, pour pouvoir restituer le bouillonnement d’images et le rythme du texte qui interagissent pour happer le spectateur, à l’instar du lecteur, dans l’épaisseur agressive, moite et lumineuse de l’oeuvre.


Si le récit en appelle à tous ces horizons, c’est bien la religion qui est l’élément clef du texte. L’oeuvre manifeste une volonté obstinée de se confronter à la martyrologie chrétienne et aux ambiguïtés que la doctrine d’abnégation de l’Eglise peut générer chez un homme investi de la charge de guide spirituel d’une communauté qui n’attend elle-même que de s’en remettre au libre pouvoir d’un protecteur.


On reconnaît ici une appropriation toute personnelle d’un discours d’inspiration nietzschéenne sur la faiblesse de l’homme, qui se conforte dans des certitudes en se constituant en troupeau autour d’un berger, lui-même malade de la vie qui, par ressentiment, se venge de cette faiblesse tout en fédérant son troupeau en désignant comme créature mauvaise devant être punie, l’être dont la force de vie, la liberté, sera insupportable à ses yeux — Jeanne.


Mais, sous ces éléments de sens, les deux traits principaux de l’oeuvre sont une ambiguïté de chaque élément du récit, offusquant tout jugement moral, et une poésie omniprésente, qui apparaît comme le langage même d’une réalité qui ne sépare pas, la tendresse du sordide, le spirituel du kitsch.

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