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Jean La Vengeance

+ d'infos sur le texte de Jérôme Robart

: Entretien avec Jérôme Robart

Une colère archaïque - propos recueillis par Julien Lambert, juillet 2010

Jérôme Robart, comme dans Jean la Vengeance, la question de la culpabilité était au centre d’Eddy fils de pute créé au Poche Genève il y a sept ans : elle vous a toujours hanté ?


Certainement. Eddy couche sans le savoir avec sa mère et Jean perd quant à lui sa femme et son fils dans un accident de voiture. Il cherchera à justifier la punition qu’il inflige aux coupables présumés de ce deuil.


La pièce interroge la responsabilité de chacun, dans les causes d’un accident perçu comme inadmissible. Cela mène le héros à chercher toujours plus loin, du conducteur qui a grillé le stop à l’employé qui n’a pas taillé les haies qui le cachent. Tous sont impliqués d’une manière ou d’une autre, mais c’est aussi en fin de compte un malheureux concours de circonstances...


Cette quête peut sembler vaine dans le contexte de nos sociétés actuelles, où plus personne ne veut avoir de responsabilités, sans quoi il y a bien des choses dans leur fonctionnement qu’on ne laisserait plus passer. Surtout en France, où personne ne trouve la possibilité de dire non à certaines décisions politiques. Chercher sa part de responsabilité, même dans une société pour laquelle on n’a pas signé, c’est la seule issue à cette politique fondée sur le « moutonisme » général.


Mais Jean va plus loin, il cherche des coupables pour se venger, pour les punir. C’est une démarche sans fin...


C’est la mécanique de quelqu’un qui a été ébranlé et qui va forcément trop loin. Il pourrait remonter encore dans la chaîne des responsabilités, tuer tout ce qui gangrène la société actuelle et fait paradoxalement aussi sa richesse... Mais c’est son ami, Chris, qui accomplit le passage d’un acte de colère et de réparation à un geste civique, plus responsable même s’il est tout aussi vain. Chris voudrait mettre à bas la société des voitures, qui depuis cinquante ans ne cesse de décelopper son emprise sur le monde, de créer des guerres et de polariser richesse et pauvreté. C’est simple, mais dans cette simplicité réside une possibilité d’agir sur la réalité.


Jean semble animé par une colère « archaïque », tragique en somme, contre l’injustice du sort et l’absurdité de la vie.


Toute personne vivant la disparition de proches peut connaître de telles pulsions de sauvagerie.


Cette révolte existentielle ne va-t-elle pas au-delà d’un phénomène psychologiquement explicable ?


Le tragique vient du fait que la situation dépasse et domine les personnages ; elle les excuse en quelque sorte de faire ce qu’ils font. J’ai voulu pousser la colère de Jean à son paroxysme, pour voir jusqu’où elle pouvait le mener et en faire ressortir la théâtralité. Il y a peut-être une réflexion existentielle là-dedans, je ne la maîtrise pas vraiment...


Comme vos personnages, vous êtes sûrement traversé par des problèmes fondamentaux qui sont au-delà de votre conscience. En vous concentrant sur les personnages et leurs histoires concrètes, vous leur laissez la chance de s’écrire malgré vous, d’eux-mêmes...


Je ne sais jamais où je vais au départ. Je conçois l’écriture comme les rites tribaux des hommes préhistoriques ou des chamans, qui laissent s’incarner en eux une réalité invisible et la font apparaître devant d’autres humains.


Pour vous, mener dans l’écriture cette vengeance à son paroxysme, c’était une forme de défoulement libérateur, peut-être jubilatoire ?


L’écriture est peut-être un palliatif qui me console de mon impuissance à agir pour changer la société, mais c’est donc aussi un aveu de lâcheté. Je n’ai pas eu de plaisir en écrivant, c’était long et difficile, ça m’a fait mal. Je n’ai jamais imaginé que c’était une pièce aboutie, et c’est seulement en la donnant à lire à Françoise Courvoisier, que j’ai été touché par son intérêt et par son enthousiasme. J’étais content de la lui laisser et d’arrêter d’être en tension avec elle, avec la mosaïque de styles qui la parcourent, par exemple.


En effet certains passages sautent de manière surprenante d’une langue très concrète à des envolées presque élégiaques, mais cela produit des contrastes intéressants. Votre écriture dramatique réconcilie de manière heureuse ces deux pôles, puisqu’en partant d’un fait divers vous l’élevez à un degré mythique, de même que l’écriture part du factuel et touche au lyrique. La poésie a plus d’impact si elle s’enracine dans le réel...


Si c’est vrai, j’en suis très heureux. J’essaierai toujours d’avoir les pieds dans la boue et la tête dans les étoiles.

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