Paris, 1970. Maria, seule. Une lumière éclaire une fenêtre de l’immeuble où vivait Anna : les souvenirs se bousculent, Maria entame une conversation inattendue avec son amie, comme si après vingt-huit ans d’absence, Anna était de retour…

Maria s’énerve. Le ton monte. Elle devient agressive, vulgaire.

On faisait comme si tout allait bien, mais c’était faux ! Archi-faux !
On était en 33, le chancelier de mes couilles était nommé à Berlin, et c’était un désastre dont peu de monde se souciait.
Papa et maman luttaient pour un tas de choses ; ils ne pouvaient pas être sur tous les fronts, d’accord… mais ils ont négligé le plus important !
Les « Congs Pays » et le « Billet Lagrange » étaient leur objectif…
Ils ont gagné cette bataille, ils ont perdu l’autre ! Merde ! Merde ! Merde ! Bordel de merde !
On a dansé sur un volcan sans voir ce qui allait arriver ! (Elle redescend d’un ton.)
J’ai parlé avec Anna à ce moment-là. Si, si, j’ai parlé. Elle m’a dit : « Fais-moi confiance, genzele, tout ira bien ».
Putain, mettez-vous d’accord ! On m’a toujours reproché de trop faire confiance, et ce coup-là on me demandait de laisser aller…
J’aurais dû m’enrager… La rage c’est la vie. Mais je l’ai crue parce que ça m’arrangeait.
Moi qui ai toujours été un aimant à conneries – si, si, c’est très exactement ce que je suis – j’ai eu un mauvais pressentiment.
Pour une fois, je n’étais pas si stupide. J’ai été lâche ! Lâche, ça veut dire qu’on a démissionné… qu’on a vieilli… Pas à treize ans, tout de même…

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Note d’intention

En lisant Je viens d’un pays de neige, j’ai été saisie par la parole d’un personnage en marge, Maria, et bousculée par sa folle tentative de retrouver Anna en convoquant les souvenirs de leurs deux familles, l’une juive, l’autre communiste. Mettre en scène cette pièce où la « grande histoire » trouve sa résonance intime dans les souvenirs d’une amitié, c’est faire toute confiance en l’équipe que ce texte sans complaisance a réunie pour en chercher l’écriture au plateau, en ne décrivant pas la barbarie mais en laissant sa réalité agir comme une lame de fond.

Carole Fontaine