theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Je suis Fassbinder »

Je suis Fassbinder

+ d'infos sur le texte de Falk Richter traduit par Anne Monfort

: Falk Richter | Stanislas Nordey (1/2)

Entretien réalisé par Anita Le Van et Suzy Boulmedais

Stanislas Nordey, vous faites votre première création au TNS avec, comme vous le dites, votre « frère de théâtre ». Pourquoi ce choix ?


Stanislas Nordey : Pour mon premier spectacle créé au TNS, j’ai voulu faire une vraie création, c’est-à-dire travailler sur un texte qui n’est pas encore écrit, qui va continuer de s’écrire pendant les répétitions. C’est vraiment en lien avec le projet global que j’ai conçu pour le Théâtre National de Strasbourg : mettre l’écriture contemporaine au centre dans ce qu’elle a de plus contemporain, celle qui s’écrit aujourd’hui. C’est un geste fort et pas anodin. Il y a peut-être des précédents mais l’arrivée de quelqu’un dans un grand théâtre qui commence par une commande à un auteur est rare.


En général, les producteurs, les journalistes, les acteurs, le public sont inquiets que le texte n’existe pas, que l’on ne puisse pas lire le texte avant la création. La force de ce type de projet c’est justement que le texte s’écrit au plus proche de la première représentation, car il est aussi au plus proche, au plus brûlant de son époque.
On a perdu l’habitude de cette actualité-là. Toute cette « machinerie théâtrale » veut savoir ce qu’elle va voir. Falk Richter ne veut pas qu’un mot du texte soit communiqué avant la première représentation. C’est important pour lui qu’on découvre le texte sur la scène et pas avant. Cela crée un autre rapport au présent, on n’est pas préparé à ce qu’on va entendre. Pour les acteurs aussi c’est périlleux. La plupart des acteurs acceptent les projets après avoir lu leur rôle, surtout les acteurs « capés » et encore plus dans le système français.


J’ai choisi Falk parce que j’ai toujours vécu avec l’idée de monter des auteurs de mon temps, qui écrivent en même temps que je vis. J’ai vécu dans une sorte de fantasme des duos Jouvet/Giraudoux ou Koltès/Chéreau. Comment trouver son alter ego, quelqu’un avec qui on peut avoir un lien intelligent, fort, complexe, pas seulement celui à qui on commande une pièce avec tel ou tel type de personnages...


(...) Finalement, il y a une grande cohérence dans cette rencontre. Elle a eu lieu parce qu’en tant qu’acteur et metteur en scène – et à présent directeur de théâtre, j’avais envie de répondre sur ces trois terrains au travail de Falk : jouer sous sa direction, monter une de ses pièces dans les années à venir comme je l’ai fait auparavant, lui proposer d’être metteur en scène au TNS. Une des premières idées de Falk quand nous avons commencé à penser à My Secret Garden, était qu’on ait chacun deux « casquettes », c’est-à-dire que Falk serait auteur et metteur en scène et moi metteur en scène et acteur. Plutôt que « un spectacle mis en scène par Falk Richter et Stanislas Nordey », il serait plus juste de dire « un spectacle inventé ou imaginé ou conçu » par l’un et l’autre. Nous sommes aussi très proches sur les types de théâtralité que nous aimons : théâtralité de la frontalité, rapport à la langue très fort, au poétique, au politique.


Falk Richter, vous êtes artiste associé au TNS. Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?


Falk Richter : Pour moi, la décision de travailler ici est très liée à la présence de Stanislas en tant que directeur. En France, on connaît bien mes travaux, ils ont beaucoup tourné, mes pièces sont régulièrement montées, mes textes sont étudiés dans les écoles de théâtre... C'est également une formidable opportunité pour moi de pouvoir montrer mon travail au TNS, pendant cinq ans, et surtout, d'entrer en dialogue avec des artistes français, avec des auteurs, et bien sûr de poursuivre le travail avec Stanislas.


Les relations entre l'Allemagne et la France sont très fortes, que ce soit sur le plan théâtral ou politique. Ce qui m’intéresse avant tout, c'est ce qui est en train de se passer dans la société. C'est intéressant d'écrire là-dessus. Où en est la relation franco-allemande ? Qu'est-il en train de se passer en Europe en ce moment ? Le rêve européen est-il en train de s’e ondrer ? Nous revenons à une Europe plus morcelée, plus divisée. À mes yeux, la France et l'Allemagne ont toujours été les moteurs de l'Europe, c'est-à-dire des pays qui mènent une réflexion sur la notion d'identité européenne... C'est donc pour cela que je trouve très stimulant de travailler davantage en France aujourd'hui, et tout particulièrement ici, en Alsace, zone frontalière.


Tout ce qui se passe en France est suivi de très près en Allemagne, par la population, par la presse. Les récents attentats ont considérablement modi é et in uencé le climat et le débat politique en Allemagne. L'actualité politique ou sociétale française a toujours eu une in uence sur le débat politique en Allemagne. Actuellement, des philosophes comme Jean-Luc Nancy, Alain Badiou ou Pierre Bourdieu sont importants pour les gens de théâtre ou les intellectuels allemands. L'échange intellectuel entre nos deux pays existe bel et bien et je suis moi-même très in uencé par la philosophie française. Mon travail est certainement influencé par cette pensée, et donc pour moi, il s'opère là un rapprochement naturel, une consolidation de liens déjà existants. Peut-être est-il important d'ajouter que mon théâtre est vraiment très personnel : j'écris, j’analyse ce qui me déstabilise, ce qui m'intéresse dans notre société, ce que je ne comprends pas forcément et qui me met en situation de recherche permanente. Actuellement, je me penche sur ce qu'il est en train d'advenir à l'Europe, sur ce qui arrive à la culture, à l'identité européenne. Est-on en train de revenir à des identités nationales plus exacerbées, de retomber dans le nationalisme, que se passe-t-il en fait ? Ces questions auront certainement une place importante dans Je suis Fassbinder.


Comment fait-on du théâtre à quatre mains ? Il y a eu My Secret Garden, qu’en est-il de votre collaboration aujourd’hui pour Je suis Fassbinder ? Y a-t-il eu des changements dans votre dialogue ?


Stanislas : Comment fait-on du théâtre à quatre mains ? Ce qui est intéressant c’est qu’on ne sait pas. On ne dit pas au début du travail Falk va diriger les comédiens, Stanislas va s’occuper de la technique, etc. On ne divise pas les choses comme cela. La première fois que l’on a travaillé ensemble c’était risqué, je n’avais jamais co-mis en scène au théâtre. On ne s’est quasiment pas engueulés. Je pense qu’on avait l’intelligence tous les deux d’être dans une chose extrêmement ouverte. Le principe de départ est d’amener chacun des collaborateurs réguliers. Sur Je suis Fassbinder, pour être concret, Falk vient avec Katrin Ho mann pour le décor et les costumes, moi avec Stéphanie Daniel pour les éclairages ; pour les acteurs c’est la même chose, nous nous sommes répartis le choix.
Il y a une relation de conivance. Je n’ai pas un ego disproportionné et les questions de pouvoir ne m’ont jamais intéressé. Je me moque royalement de la « signature ». Cela me plaisait énormément d’inventer un « truc » à deux. Ce qui me plaisait aussi chez Falk c’est que je le trouvais freak comme moi, pas dans les normes, pas comme certains artistes que l’on rencontre habituellement et avec qui ces questions de pouvoir sont extrêmement pénibles. Pour le moment, on a un rapport assez simple et sain. Il y a entre nous de l’estime et une conivance artistique totale.


Falk : Le fondement essentiel de notre collaboration est l’intérêt profond et engagé que nous portons à la pensée de l'autre. C'est aussi notre confrontation régulière à des contenus et les discussions que nous menons ensemble.
Ça, c'est le point de départ. Pour moi, ce qui compte le plus, c'est le début du processus : comment commence-t-on, comment surviennent les premières idées, qui fait-on participer et comment échange-t-on ? Stanislas m'a toujours donné beaucoup d'idées, il s'engage entièrement dans l'échange avec moi et ça m'inspire énormément dans mon écriture. Et bien entendu, c'est formidable, aussi, d'avoir à ses côtés quelqu'un qui connaît si bien ce pays. Ici, je suis un étranger, j'écris en tant qu'Allemand dans un pays étranger, mais en travaillant maintenant avec Stanislas, je vais avoir accès à des informations « de l'intérieur » que je n’aurais jamais obtenues sinon.


Pendant le travail, concrètement, je n'ai pas non plus de problèmes d'ego, je n'ai pas besoin d'être le chef. Au fond, nous discutons chaque question minutieusement tous les jours. Si nous avons des avis différents, il nous faut juste en parler ; il ne s'agit pas d'imposer ses idées, mais plutôt de remettre en question sa propre position. C'est bien d'être contredit. La plupart des metteurs en scène n'ont pas cette opportunité.
Ce qui m'intéresse, même si je fais aussi des mises en scène seul, c'est l'échange. Il y a deux personnes avec lesquelles je travaille étroitement : Stanislas et Anouk van Dijk. Pour moi, ces projets dialogiques sont très intéressants. Au fond, l'important, c'est l'estime que l'on a l'un pour l'autre, et, dans le travail à proprement parler, de trouver, en cas de désaccord, la meilleure option, la meilleure solution artistique.


Stan est toujours sur le plateau et nous avons des tâches différentes. Lui est comédien et moi auteur, il me parle de mes textes, me propose des modifications, me suggère de nouvelles idées. De mon côté, je lui dis aussi beaucoup de choses sur son travail de comédien. Le fait qu'il soit co-metteur en scène et sur le plateau en même temps rend le processus très particulier, et même si à la fin, je me retrouve seul dans la salle, en quelque sorte, à avoir une vision d'ensemble, en fin de compte, on discutera de tout quand même. C'est un travail très particulier.



Entretien réalisé par Anita Le Van et Suzy Boulmedais
Le 22 janvier 2016 au Théâtre National de Strasbourg
Traduction des propos de Falk Richter par Céline Coriat

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.