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Je meurs comme un pays

mise en scène Michael Marmarinos

: "L'étoile morte" : trois questions à Dimítris Dimitriádis

Le texte qui vous a apporté la consécration dans les lettres, mais aussi au théâtre, (...) c'est Je meurs comme un pays. On a dit et supposé beaucoup de choses sur l'identité de ce pays qui meurt. Chacun peut reconnaître dans ce texte des questions telles que le sens de l'appartenance, la notion de patrie, la façon dont la patrie se nourrit de la chair de ses enfants. Mais on a beau voir les choses de la façon la plus universelle possible, je pense que ce texte reflète votre relation particulière à la Grèce, non pas la Grèce comme source de lumière, comme patrie de l'Egée, de l'amour, telle que l'a vue un Elytis par exemple, mais la Grèce comme source de tromperie et de désillusion. Peut-on lire Je meurs comme un pays comme témoignage de désillusion face à la Grèce elle-même ?


Désillusion par rapport à ce qu'on attend de recevoir ou par rapport à ce qu'on a déjà reçu ? Lequel des deux ? Moi je pense que les deux sont de la désillusion, et que dans le cas présent les deux sont valables. Tu vois, ce texte est écrit de telle façon que je ne peux pas trouver sa vraie… destinée. Autrement dit, que trouve-t-on dans ce texte qui corresponde à ce qui est en dehors de lui ? Voilà le plus important. Il y a eu un moment qui m'appartient, où quelque chose est arrivé qui peut-être est arrivé d'autres fois à d'autres, où l'absolument personnel a coïncidé avec l'absolument général. Du côté personnel, il s'agissait bel et bien de moi, mais du côté du général, je ne sais pas si ce quelque chose existait au moment où j'ai écrit ce texte. Quand je l'ai écrit, tout indiquait que la Grèce était en bonne voie, autant dire que le texte ne correspondait pas à ce moment historique précis. Mais cela signifie aussi autre chose : l'écriture, l'écrit ne décrit pas. Ecrire, ce n'est pas décrire. Et voici la différence : d'habitude, les textes décrivent, l'écriture révèle. Quelque chose qui n'est pas encore conscient, pas encore visible, qui couve mais que personne n'a remarqué, quelque chose que la réalité nous dissimule pour nous empêcher de le reconnaître. Ce qui s'est passé et qui est presque exemplaire, dans le sens où l'on peut s'en servir comme exemple, c'est qu'au moment où j'écrivais ce texte, il parlait d'une réalité qui n'était pas visible, donc... du futur ! Mais d'un futur qui pour l'écriture était présent. En fait, je crois que ce texte marque la fin de toute une époque historique. Quelqu'un, dans une conférence récente qui avait précisément pour sujet Je meurs comme un pays, a fixé comme point de départ La Femme de Zante de Solomos et comme fin Je meurs comme un pays. Il a donc placé deux limites. Mais moi, la première limite, je la placerais bien avant.


Ce serait quoi ?


Le début de la civilisation hellénique. Autrement dit Je meurs comme un pays est vraiment la mort d'un pays, de toute une histoire, de toute une civilisation. Voilà pourquoi le pays disparaît et perd même son nom.


Où se situe cette mort, d'après vous ?


Cette mort est ce qu'on appelle une mort naturelle, celle de certaines choses. Les choses meurent à un moment donné quand elles n'ont plus la force de continuer à vivre. Et précisément la réalité où nous vivons est la nonreconnaissance de cette réalité.


De ce que quelque chose a pris fin...


Et cela pour toujours. Nous vivons avec l'illusion de la continuité, l'illusion que les choses vont avancer, tandis qu'en fait nous vivons dans la lumière venant d'une étoile morte. Voilà ce que révèle l'écriture. L'étoile morte. Mais ne crois pas qu'au moment où j'écrivais j'étais un audacieux, ou un visionnaire, ou quelqu'un qui regarde les choses de haut, ou qui se tient même à l'écart. J'étais tellement plongé dans la réalité, j'en faisais tellement partie, que l'écriture de ce texte a été incroyablement douloureuse.


On s'aperçoit qu'en fait un grand nombre de vos pièces sont consacrées d’une certaine façon, à la déconstruction de figures centrales de la mythologie néohellénique. À commencer par Constantin Paléologue ...


Dans L'Arche de la vie ...


…jusqu'à la figure d'Ulysse dans ton texte le plus récent. Tous ces mythes sont retournés.


Oui, comme le platonisme dans Le Tour du noeud. Avec le mythe de la caverne.


Qu'est-ce qui vous fait donc revenir à ces thèmes-là?


Je reviens à ces thèmes-là pour la raison que retourner les mythes, les observer par derrière, c'est précisément l'image de la fin. Autrement dit, ces mythes et tout ce qu'ils représentent n'ont aucune validité, aucune durée, à moins de les observer du point de vue de la non-convention, c'est-à-dire du point de vue que la plupart des gens n'ont pas ou refusent de reconnaître. Résultat : l'image que nous avons elle-même est détruite... Autrement dit, quand est renversée l'image de la prise de Constantinople ou quand est renversé le platonisme à travers ce mythe et que Platon lui-même se transforme en assassin, alors qu'il vient pour empêcher le crime, nous assistons au moment extrême de cette réalité... où quelque chose ne peut aller plus loin et révèle sa face contraire.


Ce que vous dites là me rappelle très vivement le rôle d'un des personnage ibseniens, Grégers Werle, dans Le Canard sauvage. C'est exactement ce qu’il fait : il essaie de dévoiler la vérité à tout prix .


Oui, sauf que cette pièce préconise le maintien et la défense du mensonge vital.


Voilà la différence.


Voilà la différence... oui... Moi je crois exactement le contraire. Je crois que les mensonges sont mortels, et non vitaux, et que l'entretien des mensonges vitaux en ce qui concerne les peuples, les nationalités, les groupes ethniques, les collectivités, etc., est désastreux. Il ne permet pas le dégagement de forces créatrices, qui pourtant existent mais, du fait de ces stéréotypes, restent enfouies.


C'est ce que vous dites très clairement dans votre essai, Nous et les Grecs, où vous défendez l'idée que la régénération de quelque chose doit passer par sa mise en cause. Il me semble que votre théâtre tout entier illustre d'une certaine façon cette idée.


Oui. Moi, je remplacerais le mensonge vital par l'irrespect vital... De même qu'on parle en traduction d'une relation audacieuse avec l'original, cette audace étant révélatrice, tandis que le respect ne permet pas, disons, de pénétrer dans les méandres et les dédales du texte. Cet irrespect est nécessaire, véritablement vital, c'est ce que j'ai appelé dans un de mes textes – à qui j'ai donné ce titre – le « viol vital ». C'est cela précisément, le fait de ne pas accepter les limites et d'accepter, au contraire, la violation des limites, qui amène l'effondrement des stéréotypes, de tous ces clichés, de tous ces ersatz qui circulent en abondance. C'est cela seulement qui peut permettre à des forces terribles de se dégager.


Extrait d'un entretien avec Dimitra Kondylaki, in Homériade (édition DVD multilingue, Atelier Européen de la Traduction, 2007 – à commander sur le site de l'AET : www.babeleurope.com)

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