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Je danse parce que je me méfie des mots

Kaori Ito ( Mise en scène )


: Note d'intention

Dans ce projet, il sera question du rapport père-fille. Je veux recréer une rencontre avec mon père, comme pour retrouver quelque chose de perdu. Une rencontre à la fois artistique et humaine, la rencontre de deux êtres séparés par des milliers de kilomètres, et par une sorte d’éloignement culturel.


En Mars 2011, l’année du Tsunami, après 10 ans d’absence, j’ai revu ma chambre à Tokyo, chez mes parents. Elle n’a pas changé depuis mes 20 ans. Mes parents l’ont laissé telle qu’à l’époque. Ensuite, j’ai vu les photos de moi dans le salon. Cela m’a donné la sensation d’être comme une morte dans cette maison. Comme si, depuis mon départ, ils gardaient mes affaires intactes pour conserver la fille qu’ils avaient auparavant, quand j’étais encore au Japon, comme si le temps s’était arrêté depuis mon départ.


Pour une fille, le père représente à la fois l’autorité et une personne à dépasser. J’ai toujours tenté de plaire à mon père. J'ai donc travaillé toute ma vie afin qu'il soit content de moi. Petite, il me disait ce que je devais faire. Avant, j’écoutais ses conseils artistiques avec respect, mon père est sculpteur au Japon. Il représentait quelqu’un que j’admirais, quelqu’un qui détenais une vérité et j’exécutais scrupuleusement ce qu’il me disait de faire. Parfois ses remarques étaient très profondes, comme celle-ci : « il ne faut pas que tu bouges dans l’espace, mais que ta danse fasse bouger l’espace. »


Mon père a toujours voulu conserver son autorité sur moi, peut-être pour que je reste sa fille. Maintenant que je suis loin, que je me réalise, je me sens paradoxalement plus proche de lui artistiquement, mais trop loin affectivement. Aujourd’hui, je réalise que c’est lui qui cherche à me plaire. Maintenant, il me respecte comme danseuse. Il me reconnait comme professionnelle et c’est pour cela qu’il veut danser avec moi. Quand je rentre au Japon, mon père veut toujours danser avec moi des danses de salon. Cela m’a toujours gêné mais maintenant je suis prête à danser avec lui en public. J’aimerais le retrouver sur un plateau. Que les retrouvailles de nos corps de même sang et différents, le sien modelé par la sculpture et le mien par la danse, fassent bouger l’espace.


La distance nous oblige à manifester l’amour autrement, de manière plus subtile. Au Japon, on ne montre pas ses sentiments. Lorsqu’une famille est réunie dans le même pays, l’intimité existe du fait de se voir et de vivre des choses ensemble, mais vivant à l’autre bout du monde, on a la sensation de devenir étranger à sa propre famille, on perd une relation concrète. Peut-être que le dessein de ce spectacle est la danse que nous ferons ensemble, après avoir dit ce qui peut l’être par la parole. Parce qu’au Japon on se méfie des mots. Dans le film « La maison », Amos Gitaï se demande « pourquoi faut-il détruire une maison pour en reconstruire une autre ? » Ce que je traduis par : pourquoi devoir détruire une relation pour en reconstruire une autre ?

Kaori Ito

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